mercredi 6 mai 2009

Sarkozy : deux ans de rupture avec le modèle français

Lorsque Nicolas Sarkozy a été élu, Polémia s’est interrogé sur le sens de la rupture annoncée par le nouveau président : rupture avec le politiquement correct (attendue par beaucoup d’électeurs) ou rupture avec le modèle français (voulue par beaucoup de ses soutiens médiatiques, financiers ou étrangers) ?
(La méprise : http://www.polemia.com/article.php?id=1550

Deux ans plus tard la réponse est claire : Nicolas Sarkozy n’a pas rompu avec le Système, il a rompu avec l’exception française.

Rupture avec l’esprit des institutions
D’inspiration monarchique, les institutions de la Ve République visaient à donner de la hauteur et de la distance au président de la République en charge de l’essentiel. Mais l’omniprésence médiatique de Nicolas Sarkozy et son activisme touche-à-tout sont en rupture complète avec la pratique de tous ses prédécesseurs qui économisaient leur parole et s’efforçaient de garder un minimum de majesté, sinon de sacré, à la fonction.

Rupture avec la politique d’indépendance nationale
Il y a dans les gènes de la Ve République comme du gaullisme la politique d’indépendance nationale : une démarche fondée sur la conviction que les intérêts de la France et de l’Europe continentale sont distincts, sinon opposés, de ceux des puissances anglo-saxonnes. Dans ce domaine les ruptures se sont multipliées :
- la rentrée de la France dans le commandement unifié de l’OTAN ;
- la fermeture programmée de bases françaises en Afrique ;
- l’installation d’une base d’appui à l’Amérique à Abou Dhabi ;
- la remise en cause des liens traditionnels avec le Québec ;
- le divorce franco-allemand.

Rupture avec l’élitisme républicain
La France a construit son appareil d’Etat, et une large partie de sa puissance industrielle (aéronautique, espace, nucléaire, pétrole) à partir des grands corps d’ingénieurs et des grandes écoles. Le principe en était la sélection au mérite par les capacités et par l’effort. La mise en œuvre de la discrimination positive change ces règles et fait de l’origine (ethnique, religieuse, sexuelle) et de la faveur les nouveaux critères de sélection des élites.

Rupture avec la laïcité
La nouvelle politique religieuse du gouvernement repose sur un oxymore : le concept de « laïcité positive ». Or la laïcité, c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions. En pratique, la laïcité a longtemps été un moyen de lutte contre le catholicisme, religion dominante. La « laïcité positive » vise, elle, à reconnaître, encourager et donner des moyens financiers aux religions minoritaires (principalement l’islam). Il s’agit de faciliter la construction de mosquées et de centres culturels islamiques et de donner un statut juridique à différentes pratiques musulmanes parfaitement étrangères à l’identité française.

Rupture avec la conception traditionnelle de la famille
Cellule de base de la société, point d’ancrage dans la crise, la conception traditionnelle de la famille subit de nombreuses atteintes. Certes, toutes ne sont pas nouvelles mais la présidence Sarkozy accélère le mouvement :

- mise sur un pied de quasi-égalité du Pacs et du mariage ;
- volonté d’imposer à l’opinion publique le terme et la notion d’ « homoparentalité » ;
- projet de loi instituant un statut de « beau-parent », y compris pour les couples homosexuels ;
- création d’un hypothétique « droit à l’enfant ».

Rupture avec la culture française
Dans le mode de sélection des élites françaises comme dans la formation scolaire traditionnelle, la connaissance des humanités et la maîtrise de la langue française ont toujours été jugées essentielles. La langue française est d’ailleurs considérée comme un élément important de notre identité en même temps qu’un facteur du rayonnement français dans le monde. La aussi, Nicolas Sarkozy a choisi la rupture :

- en brocardant la place accordée à la culture générale, notamment dans les concours administratifs (alors même que beaucoup d’entreprises découvrent l’importance de la maîtrise de la langue française par leurs employés et leurs cadres) ;
- en se moquant de la lecture de La Princesse de Clèves ;
- en maltraitant, délibérément ou non, la langue française dans ses discours et sur le site Internet de l’Elysée.

Rupture avec l’art de vivre français
L’art de vivre français, c’est un ensemble d’attitudes et de comportements : ce sont des règles de convivialité ; ce sont des hauts lieux et des paysages qu’on respecte et qu’on protège ; ce sont des traditions gastronomiques ; c’est aussi le refus de voir l’argent et la consommation envahir toute la vie. Là aussi, dans la foulée du rapport Attali, les ruptures sont nombreuses :

- la suppression projetée du repos dominical qui structure la vie sociale et communautaire ;
- le goût ostentatoire de l’argent et du « bling-bling » ;
- le désintérêt vis-à-vis du terroir français et de ses produits (vins, fromages) ;
- la marchandisation du patrimoine ;
- la volonté de remettre en cause les règles d’urbanisme, protectrices de la beauté des sites et des paysages.

Une rupture à contretemps
La rupture sarkozyste se fait au nom d’une utopique modernisation. Il s’agit de s’anglo-saxonniser (sur le modèle américain et britannique) et de s’orientaliser (sur le modèle de Dubaï). Mais le calendrier n’est pas galant homme : pourquoi donc copier des modèles étrangers au moment même où ils s’enfoncent dans la crise ?

La démarche présidentielle sur « la France d’après » n’est pas seulement condamnable au regard de l’identité française ; elle a un côté pathétique parce qu’elle est déjà dépassée.

Voir aussi l’article de Roger Cohen du New York Times sur la destruction des dix tabous français : http://www.polemia.com/article.php?id=1528

La méprise

Six mois après son élection, le sondage IFOP/« Le Journal du dimanche » fait apparaître que 59% des Français considèrent que l’action du président de la République et de son gouvernement n’a pas amélioré leur situation. Seuls 3% considèrent qu’il est encore trop tôt pour juger de son action (« Les Echos » du 05/11/2007).

Il y a plusieurs explications à cette performance.

1) N.Sarkozy a bénéficié pour son élection d’une conjoncture politique exceptionnelle :

– une candidature de gauche non crédible ;
– l’effondrement du Front national, qu’a renforcé l’habilité du candidat à reprendre une partie de son vocabulaire.

Mais il y a seulement un an son élection n’était pas du tout assurée : ce qui veut dire que cette conjoncture exceptionnelle n’est pas suffisante à elle seule pour fournir un appui politique durable au président, a fortiori si celui-ci veut engager une politique de rupture.
La gauche reste, en effet, une force politique qui s’appuie sur de nombreux relais intellectuels et sociaux ; le courant identitaire reste une composante durable du paysage politique européen que l’erreur stratégique du Front national, parti à la conquête illusoire des Beurs pour la campagne présidentielle de 2007, ne saurait masquer durablement. Enfin, l’ouverture à gauche a ébranlé la majorité présidentielle.

Le président est institutionnellement fort mais politiquement faible en réalité, ce qui explique qu’en décalage évident avec le discours de rupture lui et son gouvernement manifestent une peur certaine du retour du syndrome de 1995 : les mâles prétentions affichées masquent mal la réalité d’un pouvoir qui négocie sur tout pour calmer le jeu. Bref, un discours dur associé à une pratique molle. C’est une recette qui conduit habituellement au désastre en politique car elle génère l’inquiétude sans convaincre. Elle ne peut qu’encourager toutes les résistances, notamment syndicales, et donc générer les conflits au lieu de les prévenir.
Au demeurant, le président, qui promet la rupture, s’est doté d’un gouvernement médiocre et en particulier d’un premier ministre faible ; il est donc dépourvu de réel fusible, d’autant plus qu’il se met en première ligne sur tout.
Car c’est aussi en raison de cette faiblesse politique qu’il déploie un activisme médiatique permanent dans l’espoir de la compenser.

2) La victoire de N. Sarkozy en 2007 repose sur un malentendu pour ne pas dire une manipulation autour du thème de la rupture.

Les Français ont vu en lui l’homme de la rupture avec le système. Mais N. Sarkozy est surtout l’homme qu’a propulsé le système pour rompre avec l’exception française.
La conséquence est que le président de la République met pour le moment en œuvre une action qui ne peut répondre à l’attente du corps électoral qui l’a élu. Trois exemples :

a – une « ouverture » uniquement à gauche ;

b – le lancement de chantiers qui ne concernent pas le quotidien immédiat des Français : mini-traité européen, posture ambiguë sur la Turquie, alignement « atlantique » pro-américain et pro-israélien marqué, promotion de l’union méditerranéenne, présidentialisme, commission pour libéraliser (plutôt que libérer…) la croissance, Grenelle de l’environnement, multiples initiatives internationales (Darfour, infirmières bulgares, Arche de Zoé…), etc. ;

c – pas de remise en cause réelle de l’immigration de peuplement (M. Hortefeux se considérant autant « le ministre du droit d’asile » que le ministre de l’identité) et de la logique d’intégration (que l’on va renforcer dans un sens discriminatoire à l’égard des Français de souche).

Ce faisant, le président paye ainsi sa dette vis-à-vis du système en engageant les ruptures que celui-ci réclamait. Mais, a contrario, une fois celles-ci réalisées, il perd progressivement de son utilité et risque de devenir lui-même le fusible du système.

Cela conduit à s’interroger sur la signification, en termes de dynamique sociale, de l’élection de N. Sarkozy.
Valéry Giscard d’Estaing incarnait la droite moderne face au gaullisme sur le déclin, F. Mitterrand incarnait le peuple de gauche face à la droite, J. Chirac incarnait une certaine image du gaullisme (même si c’était à tort) et en 2002 la France immigrée aussi (qui en 2007 s’est, en revanche, massivement portée sur S. Royal).
N. Sarkozy n’incarne pas d’autre force que celle de la survie du système : ses seuls réels soutiens sont la classe médiatique, le MEDEF et les patrons du CAC 40. Et, bien sûr, la solidarité internationale de tous les tenants du système.
En d’autres termes, son élection exprime la prétention de la nouvelle classe économique issue de la mondialisation à exercer le pouvoir souverain ou, pour le dire encore autrement, la domination des valeurs marchandes (qu’exprime le couple marché/morale qui est au cœur du modèle anglo-saxon, modèle qui fascine la nouvelle classe). Or le problème est que cette nouvelle classe s’impose justement par la négation des peuples et des nations. Sa rencontre avec le peuple français ne peut donc qu’être conflictuelle.

De fait et symboliquement le nouveau président, hier si habile à soigner son image, ne cesse curieusement, depuis qu’il est élu, d’accumuler les fautes de goût : croisière luxueuse après son élection, vacances aux Etats-Unis, soirée au « Fouquet’s », revalorisation de sa rémunération, divorce « people » avec Cecilia…
Tout cela ne correspond pas à l’image traditionnelle d’un président de la République mais s’accorde très bien avec la mentalité arrogante de la nouvelle classe. Cela a en tout cas laissé des traces durables et négatives dans l’opinion et donne une dimension nouvelle à la coupure entre la France d’en haut et celle d’en bas.

3) Les Français croyaient avoir élu un président ; ils découvrent qu’ils n’ont élu qu’un candidat.

« Ensemble tout est possible » : tel était le slogan de la campagne présidentielle, manière emblématique de traduire l’habile communication du candidat, capable de promettre tout à tout le monde.
Mais, devenu président, N. Sarkozy continue pourtant sur le même registre : chaque jour apporte son nouveau lot de déplacements éclairs, de promesses, de « lettres » ou de déclarations tonitruantes autour du thème « Je veux » ceci ou cela.

Hélas, gouverner implique de dépasser le stade du discours pour se confronter au réel et pour rendre possible le souhaitable.
Ainsi dans sa Lettre aux enseignants il déclare par exemple : « Je souhaite » que les élèves se lèvent quand le professeur entre dans la classe… Fort bien. Mais quels moyens sont mis en œuvre pour réaliser cette volonté ? Mystère…

L’activisme présidentiel commence en outre à donner une image non d’activité mais d’instabilité : image inquiétante pour celui qui est en charge de nos intérêts vitaux dans un monde dangereux.

L’activisme médiatique conduit aussi parfois à s’interroger sur les curieuses priorités présidentielles : recevoir un lycéen victime « d’injures racistes », faire lire la lettre de G. Môquet dans les écoles ou aller au Tchad négocier en personne la libération des membres d’une obscure association…

En réalité, ce « volontarisme » est uniquement destiné à la médiatisation et non à l’action. Or, sans effet positif mesurable sur leurs conditions réelles d’existence, les envolées périodiques sur le thème de la « volonté » présidentielle finiront à la longue par lasser les Français, puis à devenir proprement ridicules, et enfin odieuses.

Tout nouveau pouvoir connaît, bien entendu, une période d’ajustement et de maladresses. La différence est que celles-ci n’ont pas l’air de se réduire avec le temps mais ont plutôt tendance à s’amplifier.
Les Français commencent à se demander si, dans le spectacle présidentiel qu’on leur présente depuis six mois, il n’y a pas une grave erreur de casting.
La question est donc de savoir si le pouvoir médiatique sera suffisant dans la durée pour garantir la pérennité d’une politique qui semble manifestement plus destinée à convaincre le Congrès américain que nos concitoyens.

Michel Geoffroy © Polémia 08/11/07

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