dimanche 11 mai 2008

Sarkozy, un soixante-huitard à l'Elysée

« Dans cette élection, il s'agit de savoir si l'héritage de Mai 68 doit être perpétué ou s'il doit être liquidé une bonne fois pour toutes. » Sarkozy dans le texte, entre les deux tours de la présidentielle (1). La gauche avait hurlé. Cohn-Bendit, lui, se marre. Le leader de 68 le certifie : sans Mai 68, pas de Sarkozy à l'Elysée ! Et il a raison.
Dany-Sarkozy, même combat ?« S'il y a un soixante-huitard à l'Élysée, c'est bien lui! » La formule n'est pas de nous, elle sort de la bouche de Cohn-Bendit C'était le 2 mars dernier sur le plateau de Ripostes, l'émission de Serge Moati. Ce n'était pas une révélation, seulement une répétition. Déjà pendant la campagne de soutien à Denis Baupin aux élections municipales à Paris, le leader de Mai avait lancé : « Nous avons un président de la République soixante-huitard qui a repris le slogan du "jouir sans entraves" pour lui-même et le démontre tous les jours. »
La vérité sort de la bouche des enfants de Mai. Cohn-Bendit a ouvert le bal, Bruckner, vingt ans au moment des « événements » lui succède. « Mai-68 à l'Elysée » chronique le néo-con dans les colonnes du Nouvel Observateur(2). « Fait nouveau en France, le premier personnage de l'État serait célibataire; un cœur à prendre qui décide du sort de millions de gens. Mai 68 est passé par là et ne cesse d'émettre ses effets comme une petite source d'énergie disruptive.» « Avec Sarkozy, analyse-t-il non sans lucidité, nous glissons de l'adultère classique au désordre amoureux avec le ballet probable des prétendantes et des intrigues d'alcôves. II voulait incarner l'autorité, accéder au mythe des grandes familles régnantes, il symboliserait plutôt la bougeotte sentimentale de nos contemporains, le vertige des inclinations et des infidélités . »

« Imaginez Tony Blair se remariant avec Naomi Campbell »
A l'époque, le président s'était séparé de sa deuxième femme, une première dans l'histoire de la Vertueuse République française. Jamais un chef de l'Etat n'avait divorcé depuis Napoléon, à l'époque du Directoire. « Rendez-nous une famille à l'Elysée! », s'exclamait Bruckner dans sa conclusion. On n'était pas loin du « Rendez-nous tante Yvonne ! » réclamé ironiquement par Minute(3)- Mais Cécilia n'en pouvait plus, ne se voyant pas « première dame de France » .« C'était « une femme libérée » ... Cécilia, fille de 68 qui choisit sa vie ...« Je ne me vois pas en first lady. Cela me rase. Je ne suis pas politiquement correcte. Je me balade en jean, en treillis ou en santiags. Je ne rentre pas dans le moule », avait-elle pourtant prévenu dans Télé Star en mai 2005. C'est pas si facile l'Elysée. Alors elle l'a laissé tomber.
Vint Carla, première sur la longue liste de toutes les prétendantes. Femme libérée aussi, voire plus libérée encore car plus jeune. Notre président « de droite » s'est remarié donc avec un ex-mannequin « de gauche » au passé sentimental pour le moins mouvementé et au tempérament non moins ardent. Imaginez Tony Blair divorçant de Cherry et se remariant avec Naomi Campbell », avait gentiment ironisé un chroniqueur du Times pour faire comprendre la situation aux Anglais. Nicolas Sarkozy restera le seul président avec Gaston Doumergue (1863-1937) à s'être marié en cours de mandat. « Si un président de la République peut être deux fois divorcé et peut se balader au bras d'une chanteuse qui crie sur les toits que baiser pendant trois semaines avec le même homme , c'est le maximum, c'est que Mai 68 est passé par là » a enfoncé le clou Dany dans Lyon capitale(4). Il ajoutera : « Avec Sarko, De Gaulle et son épouse doivent se retourner dans leur tombe! »
En effet, on le croyait fils adultérin de 1958, il se révèle parfait héritier de 1968. Pourtant, à l'époque, il n'avait que 13 ans. Nanterre, il ne l'a connu que bien des années plus tard quand il obtiendra une maîtrise de droit privé en... 1978. Deux ans après, à Sciences Po, il présentera un mémoire sur « le référendum du 27 avril 1969 ». Mais c'est plutôt sur « la révolution de 68 » qu'il aurait dû plancher.
Quarante ans après, on se rend compte à quel point la droite, du moins une certaine droite, a intégré l'héritage « moral » de ce mouvement plus libertaire que gauchiste. C'est encore Dany qui le dit, dans Forget 68(5) : « La droite est complètement imprégnée des valeurs issues de l'évolution de la société dans la sphère privée. » Défaite politique à court terme mais grande victoire culturelle à long terme, la révolte du « jouir sans entrave » a fait beaucoup de petits, dont Nicolas. « Sans ces mouvements d'émancipations des années 1960 et donc sans 1968-, poursuit Cohn-Bendit, quelqu'un comme Sarkozy n'aurait pu être élu président de la République! »

Cohn-Bendit, un « enfant de chœur » à côté de Sarko !
Dany a tout compris et se trouve l'air d'un « vrai conservateur » avec sa petite famille, un « simple petit-bourgeois qui n'a qu'un enfant avec sa femme et un autre qu'elle a eu lors de sa relation précédente » : « Nous sommes une famille recomposée, mais comparés à un Sarkozy à l'EIysée, nous sommes des enfants de chœur » ! Sarkozy, lui, trois mariages et trois enfants, de deux lits différents. En attendant la suite. last but not least. Il recompose aujourd'hui sa deuxième famille recomposée après une première tentative qui s'était décomposée. Casanova en perdrait son italien et Mitterrand son florentin. il y a seulement dix, vingt ans, c'eût été impensable. La vraie rupture sarkozyenne est là. Dans la fête au Fouquet's avec les mickeys, dans la croisière dorée sur le yacht de Bolloré, dans la Rolex au poignet, les Ray Ban sur le nez, Carla à Disney, bref tout le côté « bling bling » et paillettes des hippies devenus yuppies, passés du col mao à la chemise Armani.
Mais le plus important n'est pas forcément dans les apparences ; mais dans les origines. C'est ce qu'a bien saisi le fils Glucksmann qui publie avec son paternel, ex-révolutionnaire devenu commissionnaire, Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy(6). Dans un entretien donné au Point le 7 février, celui-là déclare: « Sans le relativisme de Mai, sans son slogan le plus fou, « Nous sommes tous des juifs allemands ; jamais il n 'aurait pu étre président de la République. 68 est une assomption du déracinement qui a donné la société " black-blanc-beur ", multiculturelle et ouverte dans laquelle nous vivons. »
Jusqu'alors, comme l'avait mentionné Jean-Marie Le Pen, la France avait toujours été présidée par des Français de souche qui savaient tâter le cul des vaches. Avec Sarkozy, c'est fini. Les paysans sont des « pauv'cons ». Pas seulement l'individu, pedzouille ou non, qui l'a apostrophé au Salon de l'agriculture, mais tous les péquenots, les Bretons, les « Français d'en bas » beaufs, ringards, dont Yasmina Reza (7) a rapporté, l'ayant suivi pas à pas durant toute la campagne, le mépris qu'il leur porte et avec quel cynisme il feint de s'en montrer proche.
L'étonnante ascension d'une Rachida Dati ou d'une Rama Yade participe évidemment de ce mouvement de « déracinement » initié en 68, poursuivi par leurs héritiers trotskistes, libertaires ou libéraux.
Certes SOS Racisme est passé par là, continuant ce travail de sape de la nation. Un certain communautarisme, promu par l'association antiraciste, importé du modèle anglo-saxon, propagé par les soixante-huitards, a imprégné la société française. « En 68, raconte Glucksmann père dans le même entretien, il y avait l'idée de la révolution, de Révolution française et donc de modèle français de révolution, mais aussi l'idée d'ouvrir les frontières, morales et physiques. » Il explique même comment des journalistes anglais et américains sur place lui disaient : « C'est fantastique, vous vous américanisez ! » Un article de journal The Economist allant même jusqu'à titrer: « Dany sauve le dollar » !

Soixante-huitard contrarié et soixante-huitard attardé
« Cohn-Bendit, ce n 'était pas la France éternelle, se souvient André Glusksmann, mais quelque chose qui se trouvait partout, à Paris comme à Berkeley... Une attitude mondialisée et mondialiste. » Le gros mot est lancé. la vérité sort encore une fois de la bouche des enfants de Mai. Nicolas Sarkozy est en train d'achever politiquement et socialement cette américanisation qui rime avec mondialisation.
De même, dans le choix de certains ministres issus du monde associatif, tels Kouchner, Hirsch ou Amara, la révolution de 68 est passée par là. Il s'agissait de se libérer de la logique verticale du pouvoir pour faire entrer la société clans l'Etat. Les soixante-huitards ont toujours lutté contre l'idée pour eux rétrograde, autoritaire, voire totalitaire que l'Etat crée la société. L'Etat source de la légitimité, politique et sociale leur semblait déjà le début de la tyrannie. C'est la rue, le pseudo-spontanéisme révolutionnaire, l'autogestion, qui constitue la société et la dynamique politique. Là comme ailleurs, il fallait être ouvert et « participatif » comme dirait Ségolène, elle aussi fille de 68 malgré ses airs de matrone austère.
« Société ouverte » contre « société fermée », « rupture » ou « révolution contre conservatisme » « liberté individuelle » contre « autorité traditionnelle », « autonomie » contre « hétéronomie ». Ce sont là les maîtres mots du libéralisme qui ont fleuri, certes de manière plus poétique, sur les murs de Paris en mai 68. Libertaires-libéraux, même slogan ! Cette Proximité terminologique et idéologique va jusqu'à la reprise du terme de « Grenelle » pour désigner une négociation en période de crise. « Grenelle de l'environnement » hier, « Grenelle de la culture » demain. Dany-Sarkozy, même combat! Quand le second dit « liquider 68 » le premier lui répond « oublier 68 » (Forget 68, titre de son livre d'entretiens). Qui des deux faut-il croire? Le « soixante-huitard contrarié » ou le soixante-huitard attardé ?
« Voyez comment l'héritage de Mai 68 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique » tonnait Nicolas Sarkozy : « Je propose aux Français de rompre réellement avec l'esprit, avec les comportements, avec les idées de Mai 68 »; « Je veux tourner la page de Mai 68. Mais il ne faut pas faire semblant. » C'était à Bercy, en pleine campagne du second tour de la présidentielle. Il y a seulement un peu plus d'un an.
1. Note pour l'Histoire: discours de Bercy le dimanche 29 avril 2007.
2. n° 2241 du 18 octobre 2007.
3. n° 23-10 du 9 janvier 2008.
4. 9 janvier 2008.
5. Entretiens avec Stéphane Paoli et Jean Viard, Editions de l'Aube, avril 2008, 128 pages, 12,90 euros.
6. DenoëL 2(X)8.
7. L'aube, le soir ou la nuit, Flammarion, 2007.
Jocelyn Delagarde le Choc du Mois - Mai 2008 -

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