vendredi 20 juillet 2007

Sarkö imperator

Petite chronique judiciaire par Claude Lorne

DE Mondial en Saint-Sylvestre, c’est toujours le même refrain : il faut attendre plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, pour savoir combien ces réjouissances ont coûté en “incivilités” et en blessés. La dernière Fête de la Musique n’a pas manqué à la règle, qui s’est soldée par une centaine d’hospitalisations de Dunkerque à Barcelonnette, plusieurs centaines de vols et au moins un mort : un jeune père de famille marocain, tué de neuf coups de couteau à Bordeaux. Ouvrier dans le bâtiment, le malheureux, qui se rendait à l’aube à la gare, a été poursuivi par quatre ou cinq voyous qui, furieux de tomber sur un pauvre hère, se sont vengés en le saignant à blanc. Quand on vous dit que la musique adoucit les moeurs…

Israël : le tueur raciste est irresponsable…

A propos de surineur, peut-être vous demandez-vous ce qu’il est advenu du sympathique Parisien Julien Soufir qui, ayant fait son aliyah à Sion, y avait le 14 mai dernier attiré un chauffeur de taxi arabe dans un guet-apens puis l’avait égorgé, car il voulait “se payer un Arabe”. Rendant compte le 25 mai de ce meurtre emblématiquement raciste, RIVAROL prédisait que son auteur serait déclaré irresponsable. Gagné ! Ce fut en effet la conclusion des experts psychiatres lors de l’ouverture du procès de Soufir à Tel-Aviv, rapportait Actualité juive dans son édition du 21 juin où, à la page suivante, Me Jean-Louis Médina, président du CRIF-Isère, racontait la visite de quelques-uns de ses confrères dans l’Etat hébreu et soulignait combien “les avocats français ont été stupéfaits par la vigueur et la vivacité de la démocratie israélienne”.

… mais pas de pitié pour Priebke et Waldheim

Et Actu-J, qui s’indignait de voir les Palestiniens faire fi de la “présomption d’innocence” en ce qui concerne Soufir, de se scandaliser en revanche de la décision d’un tribunal militaire italien d’accorder une permission de sortie quotidienne à l’ancien capitaine SS Priebke, pourtant assigné à résidence à perpétuité pour sa participation à un massacre de partisans dans les Fosses ardéatines de Rome en mai 1944. Point de détail : Erich Priebke est aujourd’hui âgé de 93 ans. La communauté redoute-t-elle donc la récidive ? En tout cas, à force de tempêter, elle a obtenu l’annulation de la mesure. Priebke est à nouveau bouclé sous surveillance dans sa résidence romaine.

Grosse déception par contre pour ce qui est de l’ancien secrétaire général de l’ONU et ancien président de la République d’Autriche Kurt Waldheim, “parti dans l’impunité” le 14 juin, à l’âge de 88 ans, sans avoir jamais répondu des “boucheries”, commises sous l’uniforme de la Wehrmacht en Yougoslavie, que lui imputait le Congrès juif mondial en l’accusant d’avoir en outre organisé des déportations de juifs. Certes, Waldheim — qui n’était que lieutenant à l’époque — échappa à un procès mais sa présidence fut sinistre, la fatwah lancée contre lui par le CJM lui interdisant tout déplacement à l’étranger, ce qui est pour le moins gênant, et frustrant, pour un chef d’Etat. Vous imaginez-vous Chirac cloué pendant douze ans de l’Elysée à Brégançon, privé de sommets internationaux, de balades en Afrique, d’excursions au Japon, de vacances ô combien méritées à l’île Maurice ou au Maroc ? Il en aurait péri d’ennui.

Chirac aux assises ?

Mais, justement, quid de Chirac maintenant qu’il n’est plus (depuis le 16 juin) qu’“un justiciable comme un autre” selon le mot du Premier ministre Fillon ?

Son avocat Jean Veil — fils de Simone — vient de faire savoir que l’ancien président serait entendu “avant le 15 septembre” comme témoin assisté par le juge Philibeaux dans le dossier des emplois fictifs du RPR — un épais dossier: “15 volumes, de 2 000 pages, soit 30 000 pages au total” — qui a déjà valu au fusible Alain Juppé 14 mois de prison, assortis du sursis mais aussi d’une peine d’inéligibilité. Et c’est ensuite le magistrat parisien Xavière Siméoni qui prendra la relève, pour tenter d’éclaircir un autre dossier, tout récemment validé par la Cour de cassation, mettant en cause l’ancien patron du RPR dans un “système structurel délictueux” : celui des “chargés de mission de la ville de Paris”, en réalité détachés auprès du parti chiraquien afin de multiplier ses chances électorales… et de favoriser ainsi le destin national de son chef qui, du coup, pourrait être inculpé de “faux en écriture publique par personne ayant l’autorité publique”. Délit ou plutôt crime passible des Assises et de quinze ans de réclusion.

Un justiciable à géométrie variable

Autres dossiers fort embarrassants pour l’illustre retraité — qui, comble de révérence, sera auditionné par le juge Philibeaux dans un endroit tenu secret pour éviter toute publicité déplaisante — celui des faux listings Clearstream incriminant des adversaires du couple infernal qu’il formait avec Villepin et celui du sabotage de l’enquête sur la mort mystérieuse du juge Borrel déclaré hâtivement suicidé alors qu’il avait de toute évidence été assassiné — voir RIV. du 22/6. Mais là, pas question de se laisser cuisiner, quelques formes que Thémis y mette. Non et non, Chirac ne témoignera pas sur ces sujets puisque, a-t-il tenu à rappeler dans un communiqué, aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme de l’article 67 alinéa 1er de la Constitution, “le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité”, ce qui “exclut qu’un ancien chef de l’Etat puisse être contraint à fournir un témoignage sur des faits accomplis ou connus durant son mandat et dans l’exercice de ses fonctions”. Et le communiqué d’insister, de crainte qu’on n’ait pas compris : “Cette position de principe, conforme à la tradition républicaine et qui était celle de son prédécesseur, n’autorise pas le président Chirac à répondre favorablement à la démarche des juges d’Huy et Pons (chargés du dossier Clearstream). Il leur a écrit en ce sens.”
Circulez donc, il n’y a rien à voir. Mais si, ce qu’à Dieu ne plaise, Jacques avait entre 1995 et 2007 estourbi Bernadette, ou encore écrasé un quidam alors qu’il roulait aux petites heures en état d’ivresse, ces “faits accomplis durant son mandat” seraient-ils également couverts par la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Dont on s’étonne d’ailleurs qu’elle place un ancien chef de l’Etat si au-dessus de la loi commune.

Le chouchou du Consistoire

Au demeurant, le locataire de la famille Hariri (dans un duplex de 396 m2, rappelons-le) n’a pas trop à s’en faire. D’une part, même dans les dossiers où il sera entendu en tant que témoin assisté, plusieurs volets seront abandonnés compte tenu de la prescription et, d’autre part, il peut compter dans ses malheurs sur un allié de poids : le Consistoire de France, fédérant les Consistoires régionaux et les 250 communautés juives de France, qui avait organisé pour lui le 24 juin dans la salle Jérusalem de la Grande Synagogue rue de la Victoire à Paris une grande et touchante cérémonie d’adieux. Bien méritée si l’on pense à son “combat de tous les instants contre l’antisémitisme” comme le dit le président Jean Kahn dans un hommage vibrant où furent exaltés l’action de Chirac mais aussi “ses discours exceptionnels prononcés notamment le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la Rafle du Vel’ d’Hiv’, pour affirmer la responsabilité de la France à propos des méfaits de Vichy (1) ou encore lors de la cérémonie d’Hommage aux Justes au Panthéon en janvier 2007”.

Si le président du Consistoire était “visiblement ému” selon les gazettes, l’ancien président français, coiffé d’une kippa (argentée, semble-t-il) du meilleur effet, ne l’était pas moins, qui, en réponse au panégyrique, déclara que “c’était à la France de remercier la communauté juive en raison de tous ses apports dans les domaines scientifiques et artistiques”.

De Barbra superstar…

Avec par exemple le récital au Palais Omnisports de Paris-Bercy le 25 juin de la New-Yorkaise Barbra Streisand, applaudie par une foule de Very Important People dont notre First Lady Cécilia Sarkozy, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, sa femme (Christine Ockrent) et son prédécesseur Douste-Blazy, qui ont apparemment du fric à claquer, les places culminant à 750 euros. Et les produits dérivés coûtant eux aussi la peau du dos, 45 euros pour un tee-shirt, 20 pour une simple tasse (made in China), etc. Pour faire passer la pilule, la diva a promis qu’une partie (non précisée) des recettes serait reversée à des associations philanthropiques, via la Fondation Streisand dont la vocation, d’ailleurs assez peu originale, est de “sauvegarder la Terre, son peuple, sa faune et sa flore”. Mais connaissant le vécu et les engagements de la dame, née à Brooklyn dans une famille où l’on parlait yiddish plutôt qu’anglais, et cible en 1968 de menaces palestiniennes pour son dévouement passionné à la cause d’Israël, on peut penser que la “Terre” privilégiée par sa Fondation est la Terre promise. Ce qui ne saurait gêner ni Cécilia ni Kouchner.
Si Nicolas était absent lors du sacre parisien de Mrs Streisand, il s’est rattrapé le surlendemain en la recevant à l’Elysée pour lui remettre en personne les insignes d’officier de la Légion d’Honneur et “témoigner de l’attachement des Français” à “cette artiste accomplie, à l’immense talent, aux multiples facettes et à la voix unique”, “actrice et réalisatrice aux choix éclectiques et citoyenne engagée”.

Parmi les Français de haute volée venus à l’invitation de Sarkozy témoigner leur attachement à l’Américaine, deux personnalités très remarquées: la Franco-Sénégalaise Rama Yade, nouveau secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, et son époux Joseph Zimet, socialiste oeuvrant dans l’humanitaire mais surtout frère du “célèbre chanteur yiddish Ben Zimet” (cf. Actu J.). Comme quoi une représentante des “minorités visibles” peut cacher un spécimen de certaine minorité moins visible, mais infiniment plus influente.

… En sarco Imperator

Autre rendez-vous sur l’agenda de notre cher président, l’inauguration de la nouvelle “reconstitution” réalisée grandeur nature par la “Ferme aux Crocodiles” de Pierrelatte (Drôme) et dont la vedette sera un saurien de 12 mètres de long et quatre mètres de large qui vivait il y a 110 millions d’années au Niger.

En quoi cela peut-il intéresser le chef de l’Etat ? Il se trouve qu’en paléontologie, cet intéressant animal se nomme le “Sarcosuchus imperator” ou, plus vulgairement, le “Sarco imperator” Mais, comme le précisent certains romanciers en exergue de leur ouvrage, toute ressemblance avec des personnages réels ne saurait être que fortuite puisque, quoi que puisse penser le mari de Bernadette depuis longtemps convaincu qu’il y a du croco dans Sarko, et de l’espèce la plus sanguinaire, le monstre fut ainsi baptisé en 1959. Bien avant donc que le petit Nicolas n’entame l’irrésistible ascension qui allait mener à la chute de la maison Chirac.

_____
(1) Le 16 juillet 1942, selon Chirac, “la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, la France, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à ses bourreaux.” Mais l’irréparable ne devait-il pas être aussi commis vingt ans plus tard quand la France de De Gaulle livra Européens d’Algérie et harkis, qui eussent dû être ses protégés, à leurs bourreaux ? On ne sache pas que Chirac ait jamais flétri cette atrocité. Ni d’ailleurs son auteur.


Aucun commentaire: