samedi 21 juillet 2007

Le piège constitutionnel de Nicolas Sarkozy

Il veut tout verrouiller

Réviser la Constitution de la Ve République... Le premier mot qui vient à l'esprit à l'annonce du projet de Nicolas Sarkozy est: encore ! Comme si elle n'avait pas été charcutée suffisamment par Giscard, Mitterrand et, surtout, Chirac. En fait, son projet est dangereux. Ce qu'il veut, c'est empêcher à jamais un courant « protestataire » de parvenir au pouvoir. Et imposer le bipartisme.

Tel est donc le premier grand chantier de Nicolas Sarkozy, qu'il entend mener à sa façon, à la fois directive et faussement consensuelle.

Réviser la Constitution, pour quoi faire ? Il a tenté de s'en expliquer le 12 juillet à Epinal, là où le général De Gaulle, le 29 septembre 1946, expliqua son désaccord avec la Constitution adoptée la nuit précédente par l'Assemblée nationale et détailla sa vision des institutions.

Discours fleuve, d'un lyrisme tout gaullien, il n'est pourtant pas convaincant, tant il est empli de contradictions. Ainsi de l'hommage presque indécent qu'il rend au "génie" du général De Gaulle en matière institutionnelle, à celui qui a doté la France d'un régime que « nous devons à tout prix préserver", notamment par l'élection du président de la République au suffrage universel, hommage qui mène le chef de l'Etat à dire que, si "depuis 25 ans les changements nécessaires n'ont pas été accomplis", "ce ne sont pas les institutions qui sont en cause, ce sont les idées, les comportements, les actes", ce sont les politiques qui ont été menées. Or néanmoins, au nom d'un refus de l'immobilisme qui s'apparente au "baugisme" théorisé par le sociologue Pierre-André Taguieff, sous couvert de rattraper un "retard" qui n'est nulle part explicité, Nicolas Sarkozy juge que ses réformes ne peuvent attendre.


Sarkozy pourfend... son hyperprésidence

Parmi toutes les innovations qu'il propose, et qui seront soumises à la réflexion de la commission présidée par Edouard Balladur, chacune mériterait un développement, ne serait-ce que pour souligner le peu d'urgence qu'il y a à s'en préoccuper, voire leur absurdité. "Si le gouvernement ne peut pas gouverner, explique Sarkozy pour souligner la nécessité de donner plus de poids à celui-ci, la France ne pourra pas se réformer."

Extraordinaire renversement de la part du chef de l'Etat, qui fait porter aux institutions une responsabilité qu'elles n'ont pas et dont il porte seul la charge, n'ayant eu de cesse, depuis qu'il est à l'Elysée, de déposséder le premier ministre et tous les ministres ayant la charge de quelque dossier important de toutes leurs responsabilités, au mépris de l'article 20 de la Constitution de la Ve République qui dispose : "Le gouvernement définie et conduit la politique de la nation". Est-ce par la faute des institutions, par celle du président de la République ou par celle de François Fillon que ce dernier ne détermine ni ne conduit rien ?

D'ailleurs, qui détermine et conduit réellement la politique de la France ? Le chef de l'Etat français, vraiment ? Nicolas Sarkozy justifie aussi la nécessité du "changement" institutionnel par un événement qu'il balaye d'une phrase : "Il est vrai que depuis un demi-siècle, la constitution de l'Europe a beaucoup progressé et que le droit communautaire a pris une place grandissante dans notre vie quotidienne." Alors quoi ? Alors rien. Sur ce point, celui, essentiel, de la souveraineté du peuple français, Nicolas Sarkozy ne propose aucune piste de réflexion. Il prend acte. Le Parlement est devenu une chambre d'enregistrement ? Qu'il le demeure. La "rupture" a ses limites que le droit communautaire impose.

Quand bien même le peuple français voudrait redevenir maître de son destin ? Quand bien même. Son aspiration à plus de "démocratie directe", lui aussi, a ses limites. "Il me semble que le référendum ne remplit plus ce rôle et que cela ne suffit plus." Soupçonné d'être tenté par un régime plébiscitaire, Sarkozy est en fait de la race de ces démocrates qu'il pourfend par ailleurs et qui ne craignent rien tant que "les passions populaires". La politique est une affaire trop sérieuse pour que les hommes politiques en soient dépossédés...

Vers une tyrannie douce et consensuelle...

C'est dans cet esprit-là qu'il est une idée de réforme, anodine en apparence car ne semblant pas mettre en péril la clef de voûte de notre régime, qui est - nous en pesons les mots - proprement scandaleuse et lourde de menaces sur l'avenir démocratique de la France. Nicolas Sarkozy souhaite en effet que « l'opposition » soit dotée d'un « statut ». Selon lui, il faut envisager naturellement (voilà qu'il reprend les tics de langage de Chirac, ce « naturellement » qui signifiait que le chef de l'Etat était en train de nous berner...) cette reconnaissance du rôle de l'opposition dans la perspective d'une revalorisation du rôle du Parlement.

Cette idée n'est pas nouvelle. il l'avait déjà exposée dans Libre, publié été 2006. Avec plus de détails, comme l'idée que « l'opposition » puisse « avoir des représentants lors des visites officielles » - songeait-il déjà à faire entrer Bernard Kouchner au gouvernement ? - et celle que le financement public attribué à ladite « opposition » ne soit plus dépendant du nombre de suffrages recueillis aux élections législatives.

Or qu'est-ce que « l'opposition » selon Nicolas Sarkozy ? Celle, et uniquement celle, qui est représentée au Parlement. Celle qui l'est de façon massive et pas celle qui bénéficierait de la "dose de proportionnelle" qu'il veut bien concéder. On comprend mieux alors qu'il ait fait référence à Epinal, pour le donner en exemple, au système anglais, avec "son bipartisme, son consensus idéologique, son absence de courants de pensée révolutionnaires"...

La réforme que souhaite Nicolas Sarkozy est un véritable piège. Ses conséquences ne sont pas difficiles à imaginer : les quelques députés « protestataires » c'est ainsi qu'il les définissait dans son livre - élus à la proportionnelle auraient le droit de protester ; les députés de l'opposition officielle, reconnue comme telle, seraient à la fois associés au pouvoir par leur droit de regard, par exemple, sur les nominations aux "postes de haute responsabilité", et pourvus en moyens financiers constants leur permettant de ne pas souffrir des humeurs de l'électorat !

Une structure particulièrement vicieuse qui assurerait aux tenants du "système", ceux que l'on appelait hier "la bande des quatre" et qui ne sont plus que deux, UMP et PS, la quasi-assurance de se maintenir alternativement ou ensemble à la tête du pays tout en donnant l'illusion au peuple que la démocratie progresse...

En quelque sorte, une bipolarisation laïque, publique et obligatoire. En d'autres termes, une tyrannie.

Jean·Marie Molitor Minute du 18 juillet 2007


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