vendredi 20 juillet 2007

Sarkocouacs

Editorial
Sarkocouacs

LE DÉRAPAGE verbal de Patrick Devedjian traitant de “salope” l’ex-député UDF du Rhône Anne-Marie Comparini (voir page 2) a dû ravir Sarkozy. Non seulement parce que voici l’ambitieux secrétaire général délégué de l’UMP placé en position d’infériorité face à lui, qui reste “le patron naturel de l’UMP” comme en est convenu Jean-Pierre Raffarin, mais surtout parce que le scandale aussitôt suscité, amplifié, répercuté par les cries d’orfraie de l’outragée a éclipsé les premiers couacs, pourtant retentissants, de la présidence.

L’impudence avec laquelle le chef de l’Etat français s’était attribué tout le mérite du succès (très relatif : voir l’édito du 29 juin) du Conseil européen de Bruxelles avait-elle exaspéré l’Allemagne, qui exerçait la présidence tournante des Vingt-Sept ? Toujours est-il que, une semaine plus tard, François Fillon a dû se rendre fort humblement à Berlin pour dire “toute son admiration” à Angela Merkel. “Admiration pour les succès de la politique économique allemande” mais “admiration surtout” pour l’habileté avec laquelle la Kanzlerin a “débloqué la crise constitutionnelle européenne”. Le Premier ministre ayant affirmé que Nicolas Sarkozy et lui-même sont “totalement interchangeables” en matière de politique étrangère, la démarche équivalait à présenter des excuses à Merkel, qui a bien voulu les accepter.

L’UMP sera-t-elle aussi facile à amadouer ? Elle avait déjà très mal pris la nomination au gouvernement de Rama Yade, de Fadela Amara, de Bernard Laporte, etc., venant après celle des Gouyet, Hirsch, Kouchner et autres Besson dans le gouvernement Fillon 1. Pourquoi, s’interrogeaient les élus et les militants du parti majoritaire, le Premier ministre avait-il conditionné le maintien dans un ministère à l’onction du suffrage universel aux législatives alors que les Excellences venues d’ailleurs ont pu garder ou décrocher un portefeuille sans se prêter à l’épreuve électorale ? Et certains, même hostiles à Alain Juppé, de déplorer l’obligation faite au maire de Bordeaux de résigner ses fonctions de ministre d’Etat après sa défaite le 17 juin devant la socialiste Delaunay. “A croire que Sarko voulait avant tout se débarrasser de lui et le carboniser”, râlent certains UMP.

Dont, en pleine rentrée parlementaire, la fureur a redoublé en ouvrant le n° du 28 juin du Nouvel Observateur où le député socialiste (et ancien trotskiste) Julien Dray raconte complaisamment comment l’Elyséen lui a offert au soir du second tour des législatives le ministère de l’Intérieur — détenu par Michèle Alliot-Marie — en lui expliquant: “Je veux le gouvernement des meilleurs. Je veux l’équipe de France des talents. Pour le moment, je ne suis entouré que de zozos”. Catégorie dans laquelle Sarkozy range donc, outre Alliot-Marie (ce qui est rassurant en pleine période de menace terroriste!), Borloo, Bachelot et autres Bussereau ainsi bien sûr que son Premier ministre François Fillon, dont il a fait de son mieux pour torpiller le 3 juillet la Déclaration de politique générale devant le Parlement, le faisant court-circuiter par Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée.

Est-ce d’ailleurs pour se débarrasser des “zozos” qu’après avoir catapulté le socialiste Bockel à la Coopération et à la Francophonie, il avait aussi proposé le ministère de l’Agriculture à un autre hiérarque socialiste, le président de la région Bretagne Jean-Yves Le Drian ? Initiative qui a lancé la droite armoricaine sur le sentier de la guerre, le député du Finistère Jacques Le Guen n’hésitant pas à condamner publiquement le “foutage de gueule” auquel s’est livré le président vis-à-vis de ses électeurs.

A l’autre extrémité de l’Hexagone, c’était déjà le (res)sentiment des Alsaciens qui, après avoir offert à Sarkozy 65% des voix — jusqu’à 90% dans certains villages ! — et 15 députés sur 16, en ont donc été remerciés… par la nomination de leur adversaire Jean-Marie Bockel qui, interrogé le 29 juin par Le Parisien, déclarait tout uniment: “De gauche je suis, de gauche je reste.” Pour tenter de désamorcer la fronde, le successeur de Chirac avait traité la veille à l’Elysée les élus alsaciens, mais outre que, ce jour-là, sortait donc l’explosive confidence de Dray, il en aurait fallu davantage pour les retourner qu’un joli talent de vendeur de cravates et la promesse d’une prochaine “visite aux forces vives et à la population”. Le déjeuner fut donc “glacial”, la député de Mulhouse Arlette Grosskost, qui brigue la mairie de Mulhouse détenue actuellement par Bockel, étant la plus remontée. Et pour cause : la question ayant été carrément posée de savoir si, aux municipales, le président allait soutenir son ministre ou son élue, Sarko a botté en touche, arguant qu’il avait “pour l’instant suffisamment de problèmes, de défis à relever pour ne pas aborder d’ores et déjà ce sujet qui fera l’objet d’une décision de l’UMP dont il ne se mêlerait pas directement”. Tout en laissant planer la menace d’une exclusion de Mme Grosskost si celle-ci maintenait sa candidature.

Pour paraphraser un adage célèbre, on sait depuis longtemps que l’ingratitude est la politesse des Grands. Mais le “nain magyar” devrait se méfier : son état de grâce ne durera pas longtemps si, en plus de son insupportable cosmopolito-parisianisme qui le rend si étranger à nos provinces (oubliés, Péguy et Barrès, le Mont-Sainte-Odile et Sainte-Anne d’Auray !), il persiste dans sa désinvolture, voire son mépris de ceux qui l’ont porté au pouvoir.

OÙ l’on allait voir ce qu’on allait voir, après l’immobilisme des années Chirac. “Je ferai les choses autrement”, avait-il promis. Le premier test devait être la réforme des Universités, sur laquelle avait justement calé Chirac Premier ministre en 1986. Pas tout à fait une réforme, d’ailleurs, à peine une réformette puisqu’elle se gardait bien de rétablir l’indispensable sélection à l’entrée des facs, se bornant à la reculer après la licence (quand plus de la moitié des étudiants ont déjà décroché), à réduire le nombre de sièges dans les conseils (ou soviets) d’universités et à offrir à celles-ci le choix de l’autonomie. Mme Valérie Pécresse étant depuis des mois donnée ministre de l’Enseignement supérieur, ladite réforme était bien entendu bouclée avant même sa nomination au gouvernement. Or, dès le premier froncement de sourcils de l’UNEF, l’hyperprésident prenait le dossier en main et obligeait Pécresse à remballer son texte, dont, après avoir reçu à l’Elysée les syndicats étudiants, il lui imposait une nouvelle version, totalement aseptisée. Et qui ne changera pratiquement rien à la (désastreuse) situation actuelle de l’Alma Mater.

On comprend qu’après la crise du CPE, due avant tout à l’autisme de Dominique de Villepin et à son refus de toute concertation, le nouveau président ait voulu se montrer prudent. Mais devait-il tant lâcher, et si vite ? Sa reculade augure mal, en tout cas, des projets de loi à venir sur l’immigration et notamment le problème des sans-papiers: cédera-t-il devant l’intraitable Réseau Education sans Frontières — qui continue manifs et occupations d’écoles — comme il l’a fait devant l’UNEF ? Les naïfs pressés de voir leur cher Sarko nettoyer squats et cités au Kärcher risquent d’attendre longtemps.

“La droite cocufiée”, telle était notre manchette du 18 mai. C’est un dix-cors qui peut désormais symboliser l’électeur sarkozyen.
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