jeudi 25 septembre 2008

Sarkozy maintient le cap... vers l'abîme !

Les pouvoirs publics ont toujours le plus grand mal à reconnaître une défaite et à en tirer les conséquences. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République qui ont perdu la majorité à l'Assemblée nationale ont refusé de se retirer. Et on se souvient qu'après l'échec du référendum sur la Constitution européenne le 29 mai 2005, Jacques Chirac avait nommé un gouvernement encore plus européiste que le précédent, où ne figuraient que des personnalités ayant voté oui et l'Elyséen avait même confié le ministère des Affaires étrangères à l'eurolâtre Philippe Douste-Blazy ! Manifestement Sarkozy a retenu les leçons de ses prédécesseurs dans sa façon de nier le vote des Français.
LA NÉGATION DU VERDICT DES URNES
Certes, il ne s'agit que d'une défaite à des élections locales (encore que les cantonales aient une conséquence directe sur la composition du Sénat, donc sur le pouvoir législatif) mais l'analyse des résultats qu'a faite le chef de l'Etat lors du conseil des ministres du 19 mars est typique de la langue de bois des politicards refusant de voir la vérité en face. Les municipales, a affirmé l'oracle élyséen, « ont exprimé une attente, une impatience, une interrogation aussi sur la possibilité que les engagements de la campagne présidentielle puissent être tenus dans une conjoncture que chacun perçoit comme plus difficile. » Et Sarkozy d'ajouter : « Il n'y aura pas de changement de cap. » Ce qui est une manière d'occulter, de mépriser le verdict des urnes, les électeurs ayant dit avec assez de force qu'ils étaient mécontents du cap actuel.
Devant ses ministres, le président a promis qu'il n'y aurait « ni ralentissement des réformes, ni plan de rigueur » et a fixé au gouvernement. quatre priorités : « Remettre le travail au cœur dès politiques publiques. renforcer la compétitivité de notre économie, continuer à gérer avec sérieux (sic !) les finances du pays et concilier solidarité et responsabilité en matière de retraites, de prise en charge de la dépendance et de santé ». Une réforme des retraites étant annoncée pour le second trimestre 2008.
Concernant ce dernier point, on nous avait pourtant dit que la réforme entreprise en 2003 par François Fillon, alors ministre des Affaires sociales dans le gouvernement Raffarin, avait résolu pour vingt ans le problème du financement des pensions et garanti leur maintien. Et voilà que cinq ans plus tard, on remet le couvert, ce qui prouve que les réformes proclamées ne sont jamais que des réformettes qui ne résolvent jamais dans la durée une difficulté mais cherchent seulement à temporiser. Il faut donc s'attendre dans les mois qui viennent à un nouvel allongement des annuités, à une augmentation des cotisations et à une réduction des retraites. Ce qui est un véritable vol. Plus les Français cotisent, moins ils touchent !
Quant aux finances publiques, paraît-il, gérées « avec sérieux », cela prêterait à rire, le montant de la dette et des déficits n'ayant jamais été aussi élevé. L'on nous parle d'ailleurs d'un assainissement des finances pour 2012. Comme par hasard l'année de l'élection présidentielle! Et tout à coup il n'est plus question de réduction d'impôts alors que le candidat Sarkozy s'était engagé à faire baisser de quatre points le taux de prélèvements obligatoires au terme de son quinquennat.
Les autres chantiers au programme, sont l'éducation avec la énième réforme de l'école primaire et du lycée (que va mener Xavier Darcos, mais avec quelle légitimité ? Lequel Darcos est d'ailleurs l'invité d'honneur le 12 avril de la Grande Loge de France pour un colloque sur les progrès scientifiques et leurs conséquences éthiques), la rénovation des campus universitaires, la réforme de la recherche, la sécurité avec la loi de programmation militaire, la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure. Et l'immigration avec la mise en œuvre de la politique des quotas et la suppression de la double compétence juridictionnelle. Si, entre les deux tours des municipales, Sarkozy s'est rendu à Toulon (dont le maire Hubert Falco est promu secrétaire d'Etat chargé de l'Aménagement du territoire) pour parler d'immigration, c'est parce qu'il sait bien que c'est là son va-tout électoral et qu'il peut ainsi séduire l' électorat populaire. Le drame, c'est que plus il parle d'immigration, plus il la favorise par sa politique.
UN IMMIGRATIONNISTE ET UNE FÉMINISTE
Par ailleurs, le remaniement ministériel tel qu'il a été annoncé deux jours après un scrutin qui a vu la déroute de la majorité montre que le locataire de l'Elysée entend minimiser la défaite de son camp. Les électeurs ayant à leur tour pratiqué l'ouverture à gauche, en boudant l'UMP, Sarkozy s'adresse maintenant en priorité à ses fidèles. La nouvelle équipe compte six nouveaux venus, nommés à des postes de secrétaire d'Etat : Christian Blanc, Hubert Falco, Anne-Marie Idrac, Nadine Morano, Yves Jégo et Alain Joyandet, ces trois derniers étant des très proches du chef de l'Etal. Ce qui dilate un gouvernement que Sarkozy avait voulu resserré : 38 membres en tout, dont désormais une nette majorité d'hommes (25 contre 13 femmes). Juppé avait abandonné en cours de route ses "juppettes", Sarkozy prend à son tour des libertés avec la sacro-sainte parité.
A l'exception de l'ex-rocardien et ex-bayrouiste Christian Blanc, ancien président de la RATP et d'Air France qui devient secrétaire d'Etat chargé du développement de la région capitale, autrement dit du « Grand Paris », projet de regroupement de la capitale avec quelque 80 communes alentour (ce qui ne plaira pas forcément à Delanoë !) il n'y a pas de nouveau débauchage de personnalités de gauche. La lourde défaite de la majorité a manifestement mis un point final à la volonté de Sarkozy de promouvoir Jack Lang et Claude Allègre - que son combat contre le dogme du réchauffement climatique rendait d'ailleurs difficilement acceptable par un président ayant, à peine élu, organisé un « Grenelle de l'Environnement ». Seul clin d'œil au centre, la nomination de l'ex "juppette" et ancienne présidente de la SNCF Anne-Marie Idrac qui devient secrétaire d'Etat chargée du Commerce extérieur.
Mais pour autant il n'y a aucune droitisation du gouvernement. Le très sarkoziste Yves Jégo, promu secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer en remplacement de Christian Estrosi, lequel a préféré se consacrer à son nouveau mandat de maire de Nice, est connu pour être un immigrationniste forcené. Sous la précédente législature, il avait été un des rares députés UMP à militer en faveur du vote des étrangers aux élections locales, suivant en cela les vues de son mentor et il est un farouche partisan du droit du sol.
De même, le secrétariat d'Etat à la Famille confiée à Nadine Morano montre à quel point Sarkozy est un libéral-libertaire. « On aimerait se réjouir de voir la famille faire enfin son apparition dans l'organigramme gouvernemental, note Jean-Marie Le Pen dans un communiqué, mais confier le poste à Nadine Morano relève de la provocation. Cette personne, qui vient d'être sévèrement rejetée par les électeurs de Toul, n'est pas connue pour défendre la famille, mais pour militer en faveur du mariage homosexuel, de l'adoption par les couples homosexuels, de la procréation assistée pour les homosexuels, et de l'euthanasie » constate le président du Front national.
UNE SŒUR AU GOUVERNEMENT
Nadine Morano a tout pour plaire puisqu'elle est affiliée à la Grande Loge Féminine de France. Après le frère Xavier Bertrand chargé du Travail et membre du Grand Orient de France, voici la sœur Morano. Sarkozy en rajoute une couche dans son syncrétisme philosophique et religieux ! Morano avait d'ailleurs fermement condamné les quelques propos pourtant anodins sur l'homosexualité tenus par le député UMP Christian Vanneste et qui lui ont valu une sévère condamnation en première instance et en appel et elle s'est prononcée, « à titre personnel, pour une exception d'euthanasie » à l'occasion de l'affaire Chantal Sébire. Aussi l'association Laissez-les-Vivre renouvelle-t-elle avec raison ses « mises en garde contre cette discrète mais efficace militante de l'euthanasie, qui ne considère la loi Léonetti (encore un frère!) de 2005, légalisant l'euthanasie "passive", que comme une simple étape vers la légalisation de l'euthanasie "active ", et dont les familles ont tout à craindre »
En tout cas, on se demande comment la "très catholique" Christine Boutin, dont une autre secrétaire d'Etat, Fadela Amara, vient de donner au magazine homosexuel Têtu une interview très « gay friendly », va pouvoir cohabiter de plus avec une Nadine Morano, sauf à aller encore plus loin dans la mise entre parenthèse et le reniement de ses convictions. On notera aussi que, finalement et contrairement à une rumeur savamment instillée par l'Elysée, Philippe de Villiers n'a pas été intégré au nouveau gouvernement. Il est vrai que Jean-Marie Boekel - qui devient secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, son ancien titulaire Alain Marleix étant nommé à l'Intérieur et aux Collectivités territoriales pour préparer un nouveau charcutage des circonscriptions - avait, paraît-il, fait de la venue du vicomte un casus belli. Si le Vendéen n'est pas retenu, en tout cas pas cette fois-ci, ce n'est pourtant pas faute d'avoir fait tout ce qu'il pouvait pour redevenir ministre : soutien explicite à Sarkozy, mise en veilleuse de son opposition au traité de Lisbonne, complet silence radio depuis des mois.
Pour faire accroire qu'il y a quand même un changement, l'intitulé de nombreux ministères est modifié, avec l'accent mis sur de nouveaux secteurs : emploi, économie numérique, aménagement du territoire, famille, associations.
« Les changements d'appellations ne sont pas toujours des changements d'attribution », précise-t-on à l'Elysée. Ainsi Christine Lagarde devient ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi. La mention "finances" disparaît « mais elle garde ce domaine », a expliqué sans craindre le ridicule un conseiller de l'Elysée pour lequel « on voulait insister sur l'industrie ». De même Jean-Louis Borloo est ministre de l'Ecologie, du Développement durable, de l'Aménagement du territoire et, nouveauté, de l'Energie. Le nouvel intitulé du portefeuille de Brice Hortefeux est : ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. La mention "codéveloppement" disparaît. En revanche, le portefeuille du secrétaire d'Etat aux Sports Bernard Laporte est complété. L'ancien entraîneur du Quinze de France retrouve la Jeunesse et est chargé en outre de la Vie associative. Les secrétaires d'Etat Luc Chatel, Laurent Wauquiez et Hervé Novelli voient également leur portefeuille modifié et complété.
Peut-on davantage se moquer du monde? Alors que la crise économique (la croissance ne sera que de 1,8 % a admis Lagarde, alors que tous les calculs tablaient sur 2 % au moins), financière, morale est d'une gravité inouïe, on s'amuse à ce jeu de chaises musicales et de changement de dénomination des postes ministériels ! Déjà, en mai 2007, Sarkozy avait voulu innover en présentant un gouvernement avec de nouveaux portefeuilles, des attributions grotesques comme ce secrétariat d'Etat chargé de la Prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement confié à l'ex-socialiste Eric Besson qui aura désormais en sus la responsabilité de l'Economie numérique.
LA PROMOTION DES VAINCUS
C'est en vain qu'on chercherait dans toutes ces combinaisons politiciennes la moindre cohérence. Ainsi, avant les législatives, Sarkozy avait édicté la règle que tous ses ministres battus devraient aussitôt démissionner, ce qui fut le cas, on s'en souvient, d'Alain Juppé, alors ministre de l'Ecologie et numéro deux du gouvernement et qui, depuis, a pris sa revanche aux municipales. Mais Juppé écarté, curieusement, les ministres étrillés quelques mois plus tard aux municipales conservent leur maroquin comme Darcos à l'Education, Albanel à la Culture, Lagarde - dont Sarkozy avait dit le plus grand bien lors de sa nomination au printemps 2007, précisant : « Si elle suit mes conseils, elle explosera à Bercy » - à l'Economie, Rama Yadé aux Droits de l' homme. Et le plus fort, c'est qu'une candidate UMP battue, Nadine Morano, fait même son entrée au gouvernement. Une promotion à la suite d'un échec, voilà ce qui augure bien mal de la suite de l'aventure, ou plutôt de l'historiette sarkozienne.
Jérôme BOURBON, Rivarol du 28 mars 2008

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