lundi 1 septembre 2008

Sarko, la tactique et la stratégie

On ne peut rester que confondu devant le contraste entre l’habileté tactique brillante de Sarkozy et son vide stratégique abyssal, presque par refus de la pensée stratégique. Cela correspond à l’air du temps, privilégiant, jusqu’à l’éradication complète, le « people » sur l’homme politique et l’action sur la pensée. Le cas Sarkozy est encore éclairé lors de la visite de G.W. Bush à Paris, vendredi dernier, à la lumière notamment d’un commentaire du « Times », du 14 juin. Le commentaire, qui ne manque ni de lucidité ni d’une certaine amertume, constate par conséquent la perte d’influence des Britanniques auprès des USA.
Quelques mots du « Times »…
« Le Président Bush a annoncé une “nouvelle ère d’unité transatlantique” à son arrivée en France hier, le lieu de son discours étant tout aussi significatif que son contenu. En choisissant Paris pour ce que les fonctionnaires de la Maison-Blanche ont appelé « la pièce maîtresse » pour faire ses adieux à l’issue de sa longue semaine de visite en Europe, M. Bush a cherché à sceller une spectaculaire transformation intervenue dans les relations avec la France depuis que le président Sarkozy a été élu l’année dernière. »
« La Grande-Bretagne qui, pendant si longtemps, a fait office de pont, parfois branlant, au-dessus de l’Atlantique, n’a plus une telle importance stratégique et diplomatique. Le président Bush passe deux nuits à Paris, mais seulement une à Londres demain – où il dînera en privé avec Gordon Brown après avoir vu la Reine. Une grande partie de son passage en Grande-Bretagne sera consacré à la question relativement locale de l’Irlande du Nord avant de regagner Washington. »
Alors que le premier ministre a tenu à prendre ses distances avec le président américain – l’ambassade britannique à Washington, par exemple, fonctionnant selon des strictes consignes de maintien de profil bas – le président français a délibérément revêtu le manteau porté autrefois par Tony Blair, avec une attitude de défi – même triomphante – ne retenant pas ses mots pour dire son engouement pour tout ce qui est américain. Hier, un diplomate américain a qualifié M. Sarkozy « d’axe autour duquel tourneront nos relations avec l’Europe », ajoutant que son « penchant pour l’action plutôt que pour la réflexion » convenait au caractère propre de M. Bush ».
Le reste du commentaire est une longue ballade admirative sur le brio de Sarkozy, réussissant à se placer et à s’imposer comme « meilleur ami de Washington », évidemment au détriment des Britanniques. Tom Baldwin et Charles Bremner, les deux auteurs de l’article, vont jusqu’à mettre en évidence l’aisance avec laquelle Sarkozy parle avec dureté aux Américains sur certains sujets, sans s’attirer la moindre rebuffade :
« En effet, M. Sarkozy a dit sans ménagement à M. Bush qu'il devait s’engager davantage sur la question du changement climatique, tout comme il a été sévèrement critique à l’égard de la politique commerciale américaine et de ce qu'il considère comme une dévaluation délibérée du dollar de la part de Washington. Le lien entre les deux leaders est si fort que la Maison-Blanche considèrent de telles attitudes comme des défis plutôt qu'une source de division. »
Tout cela décrit une tactique remarquablement conduite de la part du président français, une tactique basée sur des méthodes que comprennent les experts américanistes. Beaucoup d’exclamations, d’affirmations éclatantes, concernant des choses simples exposées par des appréciations en forme de slogans. Les deux auteurs citent un diplomate américain qui leur a confié que Sarkozy va devenir « l’axe autour duquel tourneront nos relations avec l’Europe », qui explique que son « penchant pour l’action plutôt que pour la réflexion » se marie parfaitement avec le caractère de M. Bush. Certes, et l’on peut aussi observer, pendant qu’on y est, qu’il y a parfois des compliments dont on se passerait bien…
Pas Sarkozy, sans nul doute. La description de son entregent et de son habileté dans ses relations avec l’actuel président des Etats-Unis rend compte d’un sens tactique aigu et d’une grande capacité d’exploitation de la technique des communications, de la technique « people » de préférence aux arguments politiques, de l’exclamation à défaut d’explication. La nuance ne l’embarrasse pas. Lorsqu’il s’exclame, à propos de l’Afghanistan, qu’il faut se battre jusqu’à la victoire finale car on ne doit pas céder aux « tortionnaires » (« We cannot give in to torturers »), on ne peut qu’approuver tout en se demandant de qui il parle – puisque certaines bonnes âmes pourraient aussitôt penser à Guantanamo, aux vols de la CIA et à quelques prisons fameuses d’Afghanistan. Parvenir à se faire passer pour le grand « meilleur allié » de Washington en Afghanistan alors que les Britanniques portent, aux côtés des forces américaines, la charge principale de cette guerre désastreuse, a de quoi rendre bien amers les susdits Britanniques.
Reste la question principale : où mène tout ce brio tactique ? La politique française semble réduite à des visions stratégiques complètement enfermées dans des soucis tactiques adaptés au court terme, aux moyens plutôt qu’aux fins. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de pensée, chose encombrante et inutile dans ces temps qui filent vite, donc il n'y a pas de stratégie originelle. Le retour de la France dans l’OTAN, qui semble maintenant inéluctable, est un bon exemple d’une stratégie guidée par une tactique et enfantée par la tactique (sinon l'effet), sans autre substance que l’exclamation de la chose en soi présentée comme une idée féconde. La seule explication de substance est que la décision tactique porte en elle sa vertu stratégique, ce qui laisse rêveur lorsqu’on voit l’état de l’OTAN alors que la dialectique française présente l’Organisation comme une sorte de Saint-Graal. Annoncer qu’on restera en Afghanistan jusqu’à la victoire finale n’explique pas pour autant dans quel but l’on s’y trouve et comment se fera cette victoire finale. L’enfermement dans un maximalisme anti-iranien permet de beaux discours et de belles formules mais fait s’interroger sur l’intérêt de la chose, surtout si Obama arrive à la présidence bien décidé à entamer un dialogue constructif avec Téhéran (le sénateur républicain Hagel, qui pourrait tenir une place importante dans l’équipe Obama, a affiché récemment en public et sans crainte d’être démenti sa certitude que « si Obama est élu, c’est la voie qu’il suivra avec les Iraniens »). Les Européens, et les Français en premier parmi eux, vont se retrouver marginalisés dans leur maximalisme, le jeu se déroulant alors à trois : l’Iran, les Etats-Unis et la Russie, qui s’imposeront comme les partenaires nécessaires en raison de leur poids auprès de l’Iran. (La Russie exactement dans le rôle qu'auraient dû tenir les Européens s'ils avaient suivi leur politique naturelle.)
Tout est à l’avenant dans la politique française vis-à-vis des Etats-Unis, comme dans la politique française générale d’ailleurs. L’absence de nuances renvoie sans doute à l’humeur indiscutablement pro-américaniste du président français, y compris lorsqu’il critique la position américaine (« Qui aime bien châtie bien »). On ne peut tout de même écarter le fait que cette efficacité et ce brio s’exercent à l’égard d’un président (des Etats-Unis) qui n’existe plus, et qui ne peut que bondir de joie lorsqu’il rencontre enfin, en Europe, un chef d’Etat qui le prend encore au sérieux ; et à propos d’une politique américaine qui n’est qu’un résidu catastrophique des sept années épuisantes depuis 9/11, dont plus personne ne sait que faire. Que Sarkozy prenne ceci et cela tant au sérieux est habile pour le (très) court terme, mais au-delà ?
Finalement, Sarkozy agit comme s’il était son propre premier ministre – ce qui est d’ailleurs sa marque de fabrique dans toutes les affaires depuis qu’il est président – occupé à traiter avec brio, toujours ce brio de circonstance, des affaires courantes et immédiates, tandis que, derrière lui et un peu au-dessus de lui, le vrai président penserait aux choses sérieuses, notamment pour le cas qui nous occupe, à l’après-GW, à une éventuelle nouvelle grande politique, avec les Etats-Unis ou pas, et ainsi de suite. La grande question est donc : Y a-t-il un président qui pense derrière et un peu au-dessus du premier ministre Sarkozy ?
L’intérêt de cette affaire, on le trouvera effectivement lorsque le premier ministre Sarkozy se tournera pour consulter le président. Cela aura lieu dans six mois, dans un an, cela aura lieu lorsque le partenaire américaniste, s’il n’est pas emporté dans quelque tourmente et lorsqu’il se sera débarrassé de G.W. Bush, de ses ors et de ses séquelles, se dira qu’un « meilleur ami » du calibre de la France mérite qu’on lui demande des services précis, des engagements et toute cette sorte de choses – comme il avait l’habitude de le demander aux Britanniques.
Rubrique : Bloc-Notes
http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=5202 17/06/08
Traduction des extraits de l’article du « Times » par RS
Correspondance Polémia 25/06/08

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