mercredi 6 juin 2007

Avec Sarközy, des radars électroniques en vue sur le Net

Mercredi 6 juin 2007
Charles de Laubier, Les Echos.

Avec Sarkozy, des radars électroniques en vue sur le Net

Ouf ! Il n'y aura pas de licence globale... C'est du moins ce dont les industries culturelles peuvent se féliciter après l'élection de Nicolas Sarkozy. « Si je suis président, il n'y aura pas de licence globale », avait-il promis. « Je n'accepterai pas l'idée du vol organisé sous prétexte du jeunisme et de la société de l'information », insistait-il un mois avant d'être élu. « La licence globale va à l'encontre de la diversité culturelle et est économiquement inconciliable avec le déploiement d'une offre légale riche et diversifiée », affirmait-il en janvier 2006 lors d'une convention de l'UMP consacrée à la culture.
Si Ségolène Royal avait été élue, la licence globale - cette option économique, jamais appliquée à ce jour, permettant aux internautes de télécharger de façon illimitée des contenus numériques culturels moyennant le paiement préalable d'une somme forfaitaire - aurait au contraire tôt ou tard vu le jour. La présidentiable socialiste y était favorable, même si elle était en opposition sur ce thème avec la direction de son parti et des sociétés d'ayants droit. Dans un livre d'entretiens paru fin mars, elle ne parlait pas explicitement de licence globale comme en 2006, mais de « système forfaitaire pour les échanges gratuits entre personnes » et de « revenus indirects ». « Ce qui suppose, précisait-t-elle, que les intermédiaires (webradios, plates-formes de peer-to-peer) reversent une partie de leur chiffre d'affaires aux titulaires de droit d'auteur en contrepartie de la possibilité d'exploiter commercialement leurs oeuvres. »
Le nouveau président de la République, lui, est radicalement opposé à ce modèle-là : « La licence globale n'est pas une solution viable, non seulement parce que son montant ne sera jamais assez élevé, mais surtout parce que les artistes et les ayants droit veulent - à juste titre - être rémunérés selon leur talent et leur travail et pas de manière collectiviste. » Exit donc la licence globale. Place aux plates-formes légales de téléchargement. Alors ministre (d'Etat) de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le nouveau locataire de l'Elysée avait cosigné le 28 juillet 2008 à l'Olympia la « Charte pour lutter contre la piraterie et développer l'offre légale de musique ». L'industrie du disque ne pouvait pas trouver aujourd'hui meilleur défenseur de ses intérêts que Nicolas Sarkozy (qui plus est avocat de profession).
L'industrie du film pourra aussi compter sur lui. Fraîchement élu, le nouveau président a fait lire au Festival de Cannes, le 20 mai, un message clair dans ce sens : « La révolution numérique est une opportunité magnifique (...) de diffuser les oeuvres sur les nouveaux réseaux, Internet, mobiles, et de démocratiser ainsi l'accès à la culture. » Mais d'ajouter aussitôt : « C'est aussi une porte ouverte au piratage de masse. Je serai donc vigilant dans ce domaine. Il faut que chacun prenne sa part dans la lutte pour la protection des droits. Vous pourrez compter sur moi. » De quoi rassurer le septième art, dont le « Protocole interprofessionnel sur le cinéma à la demande » est caduc depuis le 21 décembre 2006 faute d'accord. Avec le sixième président de la Ve République, la propriété intellectuelle est réaffirmée et promise à une protection rapprochée face à l'insécurité qui sévit sur les autoroutes de l'information.
On connaissait Nicolas Sarkozy comme ministre, notamment de l'Intérieur (de la Sécurité intérieure et des Libertés locales), instigateur d'une politique de sécurité routière fondée sur le déploiement national de radars automatiques, fixes ou mobiles. Verra-t-on le même, au sommet de l'Etat, mettre en place des radars électroniques sur les réseaux peer-to-peer ? Toutes les conditions sont maintenant réunies pour que le « flashage » et le filtrage de ces échanges de fichiers numériques entre internautes soit mis en place, comme l'exige le SNEP, le syndicat des majors du disque, par les conclusions de Capgemini et le retentissant rapport Kahn-Brugidou de mars 2004. Il recommande au gouvernement de placer sur différents points du réseau des réseaux - y compris chez les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) - « plusieurs milliers » de radars, fixes pour les uns, mobiles pour les autres, dans le cadre d'« actions de prévention ou juridiques ».
Comme sur la route, où l'objectif gouvernemental est d'atteindre 2.000 radars fin 2007, il s'agirait dans le cyberespace de dissuader de faire circuler à haut débit des copies illicites de musiques ou de vidéos et de prendre en flagrant délit non pas les conducteurs en excès de vitesse, mais les internautes contrefacteurs. Autant les premiers ont la possibilité avec la géolocalisation par satellite (GPS) de repérer en temps réel le positionnement des radars sur la route, autant les 30 millions d'utilisateurs d'Internet en France seraient quelque peu démunis face à ce dispositif - sans précédent dans le monde - s'il se concrétisait. Et sans préjuger des résultats escomptés en matière de lutte contre le piratage online. Pour les radars routiers, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait émis à l'automne 2003 un avis défavorable sur le « système de contrôle sanction automatisé » qui verra quand même le jour la même année avec le succès que l'on sait.
Dans un autre registre, cette autorité administrative indépendante - que Nicolas Sarkozy souhaite d'ailleurs « renforcer » - rendait à l'automne 2005 une décision rejetant la demande jugée « disproportionnée » de représentants d'auteurs et de producteurs de musique, dont la Sacem et la SCPP, de mettre en place une surveillance des téléchargements de 10.000 titres musicaux et un « traitement automatisé » d'envoi de messages aux internautes suspectés et identifiés par leur adresse IP (protocole Internet). Et ce dans le cadre d'une procédure de « riposte graduée » pouvant aboutir à des condamnations civiles, pécuniaires, ou des sanctions pénales. L'une des premières décisions du Conseil d'Etat de l'ère Sarkozy a été d'annuler le 23 mai dernier cette décision, pour « erreur d'appréciation » de la part de la CNIL. Ce désaveux rouvre la voie à des envois automatiques et ciblés d'e-mails d'avertissement aux internautes - voire de mise en garde avant « contraventions », condamnations ou emprisonnements, comme le prévoit le volet pénal de la loi « Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information » (DADVSI).
Ce texte encore très controversé est promulgué en août 2006, après la suppression par le Conseil constitutionnel d'un dispositif de « riposte graduée » (aux peines pourtant moins sévères, mais en doublon avec les trois ans de prison et les 300.000 euros d'amende déjà prévus au Code de la propriété intellectuelle). Nicolas Sarkozy est alors, pour la seconde fois, ministre de l'Intérieur (et de l'Aménagement du territoire), après deux années passées à Bercy. Le nouveau président, qui entend au plus vite cette année responsabiliser à la fois utilisateurs et FAI, avait annoncé lors de sa campagne vouloir faire « un état des lieux fin 2007 » de cette loi DADVSI et réengager des réflexions sur cette « riposte graduée ». Si les FAI parlent plus volontiers d'« approche graduée », ils restent en revanche farouchement opposés à la pose de radars préventifs ou de systèmes de filtrage sur leurs réseaux. Reste à savoir si le lobbying des industries culturelles trouvera gain de cause auprès du nouveau président de la République.

Charles de Laubier est journaliste au service high tech-médias des « Echos ».


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