samedi 8 septembre 2007

De la méthode sarkozyste en communication politique

De la méthode sarkozyste en communication politique

Avec la présidentielle 2007, la communication politique a pris un tournant sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, et s’inspire autant de la communication lepéniste que des méthodes de marketing direct. Plus incisive, plus agressive, plus manipulatrice, elle a même surpris les journalistes qui n’ont su poser les bonnes questions. Si Nicolas Sarkozy devient président de tous les Français, il devra son élection avant tout aux spin doctors, d’autant que son programme n’a pas enthousiasmé l’économiste Elie Cohen dans le dernier «Ripostes» sur France 5. Ce billet propose donc de décrypter quelques moments clefs de la Sarkocom.


1. Le copié-collé de la méthode Le Pen

La méthode Sarkozy, c’est avant tout un copié-collé de la méthode Le Pen, ce qui explique en partie que son jumeau en communication soit arrivé 4e au premier tour, avec - il faut le souligner - un nombre important de voix. Une méthode efficace puisqu’elle en appelle à l’affect, non à l’intellect. Le cœur de cible est la personne qui exprime un mal-être et une frustration, accompagnées d’un fort désir de revanche.

Nicolas Sarkozy ne cesse donc de fustiger les élites parisiennes dans chaque passage télévisé, dans chacun de ses discours, et parvient à faire oublier que son entourage et lui-même appartiennent à cette élite de longue date. Nicolas Sarkozy n’a certes pas intégré l’ENA, mais comme il n’a que très peu exercé son métier d’avocat parisien, il ne connaît pas mieux le milieu du travail qu’un énarque « pur jus » et se trouve aussi déconnecté de la réalité qu’eux. Pas plus que Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy ne peut comprendre les préoccupations des ouvriers, employés, cadres, chômeurs, étudiants, petits patrons ou encore Rmistes puisque les théories ne remplacent pas la pratique.

Cette revanche contre les élites parisiennes s’accompagne d’un populisme exacerbé, et le peuple est mis à contribution à travers toutes ses composantes, de l’ouvrier au grand patron. Nicolas Sarkozy prétend incarner le peuple en se positionnant comme le candidat de la France et des Français, non des partis. Cette posture gaullienne ne fera pourtant pas oublier que Nicolas Sarkozy est le président d’un parti de droite quand le Général était président du RPF, un parti qui entendait dépasser les clivages gauche-droite. Dans le discours de Rouen, le peuple est cité 38 fois, la France 112 fois, l’adjectif français 57 fois, la République 34 fois et la démocratie 6 fois seulement. Cet appel systématique au peuple entraîne un rassemblement identitaire autour d’un candidat et relègue le programme au second plan. Une stratégie qui flatte le peuple est d’autant plus efficace en période de crise identitaire, et répond à une réelle attente de toutes les couches sociales, soit la consécration de son slogan « ensemble ».

Si Jean-Marie Le Pen s’est approprié le symbole de Jeanne d’Arc, Nicolas Sarkozy s’en est également réclamé. Mais le candidat de l’UMP est allé plus loin puisqu’il en a appelé à Blum, Jaurès et de Gaulle, en les inscrivant dans une histoire commune de la France. Ce serait pourtant oublier deux faits importants. D’abord, l’Histoire de France ne s’enseigne plus par les personnages historiques. Cette Histoire à papa est heureusement révolue puisqu’elle n’offrait qu’un champ d’exploration très limité à l’historien, et simplifiait l’enseignement de l’Histoire. Il s’agit donc d’une vision passéiste de l’Histoire de France. Ensuite, si Blum, Jaurès, Jeanne d’Arc et de Gaulle appartiennent bien au patrimoine commun de la France et des Français, le programme et la politique de Nicolas Sarkozy en sont très éloignés. Et si « la pucelle d’Orléans » voulait libérer la France du roi, Blum et Jaurès voulaient fonder une France socialiste. Ces deux derniers personnages ont été les candidats d’un parti, d’une certaine vision de la France, non de toute la France. De même, de Gaulle était le candidat d’une droite sociale, une singulière alchimie que l’on ne retrouve pas dans le programme de Nicolas Sarkozy. Monsieur Jean-Marcel Jeanneney, ancien ministre de de Gaulle ne s’y est pas trompé, qui a écrit une lettre (publiée dans le Nouvel Observateur) où il annonçait voter pour Ségolène Royal en laquelle il trouvait un peu du Général.

Autre stratégie empruntée directement au leader du Front national : la stratégie du martyr. Nicolas Sarkozy, attaqué de tous côtés par le Front TSS (Tout sauf Sarkozy) se construit une image de victime comme l’a fait Le Pen, et prétend qu’on attaque sa personne, non son programme. Le candidat au second tour se construit donc une virginité qui va de facto décrédibiliser les attaques ad hominem. Ce serait pourtant oublier trois faits importants. D’abord, Jean-Marie Le Pen et Ségolène Royal ont essuyé de la part de leurs adversaires des propos aussi virulents, sans susciter une désapprobation aussi vive. Ensuite, la Ve République s’assimile à une monarchie républicaine où la personnalité du président compte autant que son programme. Enfin, la majorité des Français n’a pas lu les programmes, et le suffrage exprime plus l’adhésion (ou le rejet) d’une personnalité que d’un programme. Une voix étant égale à une autre, et la France ne comptant que peu de spécialistes dans les domaines socio-économiques, ce qui importe, c’est trouver le cœur des Français.

Cœur des Français exalté dans un renouveau nationaliste qui s’appuie sur des racines chrétiennes, des auteurs classiques (pourtant les milieux parisiens soulignent la pauvreté culturelle de Sarkozy), une lecture singulière du passé. La religion tient une place importante dans la communication sarkozyste, non pas parce qu’il est lui-même pieux, mais parce que la religion (du latin religere qui signifie relier) est un refuge en situation de crise. L’appel aux auteurs classiques (au sens commun, non au sens de courant littéraire) comme Corneille, Flaubert ou encore Malraux sont de nature à rassembler les Français autour d’un passé culturel glorieux, et porte un message rassurant : le souvenir en guise d’avenir. Le plus étonnant, et peut-être le plus dangereux, est la lecture singulière du passé. En effet, le discours de Rouen aborde le rôle positif de la colonisation, auquel Diderot (parmi d’autres auteurs) avait répondu par la négative en 1772 (date d’écriture) dans Supplément au Voyage de Bougainville. Diderot fait en effet dire par l’intermédiaire d’un chef tahitien qui s’adresse à Bougainville : « Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. ». Cette référence au passé colonial de la France cadre assez mal avec le programme du candidat de l’UMP qui annonce ne pas traiter avec des gouvernements corrompus ni avec ceux qui attentent aux droits de l’homme, d’autant plus qu’il est proche d’Omar Bongo (le Nouvel Observateur), de Bouteflika ou encore de Sassou N’Guesso, réputés pour être de "grands démocrates".

Régner sur la peur est le dernier volet emprunté à Jean-Marie Le Pen. La peur de l’immigré, de l’autre, de l’insécurité, de la mondialisation et des trotskistes sont autant de facteurs qui poussent les Français à céder à la bile plus qu’à l’esprit ; à cette mauvaise partie de nous-mêmes qu’il est facile d’éveiller. Or, régner sur la peur, c’est asseoir une domination efficace sur autrui qui trouve alors refuge dans l’image d’un chef fort et s’apprête à abandonner ses libertés publiques en échange d’une illusion de sécurité. Parce que Nicolas Sarkozy est moins une menace pour la démocratie (les institutions ne sont pas en danger) que pour nos libertés publiques, comme l’est Bush pour celles de son pays. Les menaces, intimidations et pressions dénoncées par tant d’acteurs de la vie politique et sociale le disputent aux lois liberticides déjà adoptées ou en cours d’adoption (cf. les nombreux articles consacrés à ce sujet sur Agoravox ou ailleurs).

2. Les méthodes du marketing direct au secours d’un programme incertain

Dans un précédent billet (Le Guide du votard), j’avais souligné combien le programme économique de Nicolas Sarkozy manquait d’ambition, relevait plus de mesurettes, et s’attachait seulement à effacer les effets des 35 heures. J’avais conclu que ce programme relevait avant tout d’un pari. Il semble donc que l’économiste Elie Cohen, dans le Ripostes du 29 avril (qui vit s’opposer François Hollande et Jean-Pierre Raffarin) en soit arrivé aux mêmes conclusions, et l’ancien Premier ministre eut toutes les peines à éluder les questions de fond. Malgré tout, le programme économique du candidat de l’UMP soulève davantage l’adhésion des Français que celui de Ségolène Royal, non parce qu’il est meilleur sur le fond, mais parce qu’il emploie les techniques du marketing direct.

Le meilleur dirigeant peut être propriétaire de la meilleure idée, du meilleur service ou du meilleur produit, s’il ne sait pas comment les vendre, cette propriété est vaine. L’important n’est plus la rose mais la communication faite autour d’elle. Je ne vais prendre qu’un seul exemple, tiré d’une expérience personnelle. Il y a longtemps maintenant, l’un de mes anciens étudiants qui avait créé une société de prestation à domicile, vint me demander conseil puisqu’il ne parvenait pas à faire décoller son activité, malgré ses connaissances du business, ses moyens financiers, et sa force de travail. Il tarifait sa prestation à l’heure, pour un coût élevé vu la spécificité de son métier et affichait ce tarif dans sa communication. Je lui ai demandé quelle était la durée moyenne de son intervention - à peu-près 20 minutes -, et lui ai conseillé de vendre son service sur la base de 16 minutes (pour éviter que l’on calcule mentalement le coût horaire) auquel il fallait ajouter les frais de déplacement. Le tarif horaire se trouvait virtuellement divisé par sept (en reportant les frais de déplacement hors tarif de la prestation), et les clients ont commencé à affluer puisqu’ils considéraient la prestation bon marché !

Quand Nicolas Sarkozy annonce qu’en travaillant cinquante minutes de plus par jour, on verrait son salaire augmenter de 15%, il ne procède pas autrement. Cinquante minutes paraissent beaucoup moins qu’une heure, et personne ne fera l’effort de calculer mentalement le nombre d’heures travaillées sur un mois. Le prospect a donc l’impression d’un effort limité. En plus, les 15% de salaire en sus ne correspondent à rien de concret puisque dans la réalité, cela ne se passera pas ainsi. En effet, de nombreux salariés font des heures supplémentaires non payées, et la détaxation de ces dernières ne conduira pas les entreprises à faire l’effort financier nécessaire : ce qui est gratuit est toujours moins cher que ce qui est payant. D’autre part, de nombreuses catégories de travailleurs ne rentreront pas dans cette revalorisation du travail : les cadres, ceux qui travaillent à la commission, les professions libérales (même lorsqu’elles externalisent certains services comme l’accueil téléphonique), une grande partie des commerçants et des artisans, sans compter les chômeurs (...). Au final, cette mesurette ne concernera qu’une minorité de travailleurs. Quand bien même, cette détaxation des heures supplémentaires ne prend pas en compte les coûts liés au monde du travail quand on sait qu’en l’état actuel (suicides, dépressions, usage de stimulants...), celui-ci est déjà important.

Le fameux « travailler plus pour gagner plus » est une excellente trouvaille, un slogan publicitaire que nous retenons tous facilement, mais que nous n’analysons ni sur la forme, ni sur le fond. Le témoignage d’un collègue enseignant en ZEP m’a alerté, lorsqu’il m’a affirmé que des parents Rmistes avaient voté Sarkozy parce qu’ils pensaient gagner plus. Ces derniers, Rmistes depuis longtemps, assimilent leur revenu à une rémunération et retiennent du message le « gagner plus ». En effet, « gagner plus en travaillant plus » a le même sens que « travailler plus pour gagner plus », mais ne produit pas le même effet. Il n’est d’ailleurs pas sans rappeler le slogan de la banque LCL, et agit dans le cortex comme un message subliminal qui associe l’adverbe « plus » au travail et au gain, un peu comme à la loterie, alors qu’en situation de concurrence internationale, le lien cause-conséquence ne peut se satisfaire d’une telle simplification. Pour autant, « travailler plus pour gagner plus » n’est pas « travailler plus pour vivre mieux ». En effet, ne sont pas envisagées les conséquences sociales et économiques d’une présence supplémentaire au travail. Parce que travailler plus, c’est avoir moins de temps et moins de savoir-faire pour se trouver une compagne (ou un compagnon), pour s’occuper de ses enfants ou tout simplement pour s’occuper de soi. Dans un cas, comme dans l’autre, l’appel à des prestataires externes (coach en séduction ou sites internet pour les rencontres ; nounous et soutien scolaire pour les enfants ; hommes toutes mains pour le bricolage...) vont venir grever le budget supplémentaire dégagé par un surcroît de travail. Mieux encore, cette marge budgétaire dégagée par les heures supplémentaires pourrait être compensée par une augmentation du prix des biens et services essentiels. En effet, la fixation du prix d’un produit ou d’un service se fait au moyen de l’évaluation de trois paramètres principaux : le prix de la concurrence, la marge sectorielle, et une étude de marché qui comprend le calcul d’un prix d’acceptabilité, c’est-à-dire que le nombre d’acheteurs est déterminé en fonction d’un ratio entre la perception du coût d’un produit (ou service), et la perception de sa qualité. Aujourd’hui, le consommateur paye davantage le conditionnement d’un produit et sa marque que le produit lui-même, et dans ces conditions, un pouvoir d’achat légèrement plus fort pourrait être absorbé par le coût d’un conditionnement plus élevé ou une réévaluation de la marque. Autrement dit, le consommateur ne pourrait acheter guère plus de produits ou de services qu’aujourd’hui à moins de travailler nettement plus.

Le plan de communication de Nicolas Sarkozy pourrait être davantage disséqué, mais le lecteur trouvera dans ce billet matière à réflexion. Et si l’on peut déplorer que la communication remplace progressivement la réflexion chez tous les candidats, Nicolas Sarkozy est le premier à être allé aussi loin dans cette approche.

Source : Tristan Valmour, Agora Vox, le jeudi 3 mai 2007. (Voir les commentaires)

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