lundi 13 octobre 2008

La fausse victoire de Sarkozy

UN CINGLANT échec à Dublin où il a dû rengainer son intention de « faire revoter l'Irlande », un demi-succès à Versailles où la réforme constitutionnelle a été acquise d'une seule voix, comme l'avait été en 1793 la condamnation à mort de Louis XVI.
Décidément, la « magie sarkozienne » n'opère plus et moins encore l'autorité qu'était censée donner au chef de l'Etat français la présidence tournante de l'Union européenne. Accueilli à Dublin lundi par des pancartes portant les mots « Casse-toi, pauvre con ! », cruelle référence à l'injure que lui-même avait lancée au Salon de l'Agriculture à un quidam qui refusait sa main tendue, Nicolas Sarkozy a dû rabattre de sa superbe. Le cosmopolite qui prétendait « régler le problème irlandais » avant les élections européennes de juin 2009 a dû s'incliner devant la détermination celte. Rien ne bougera avant le 31 décembre, quand il passera la main à son homologue tchèque, et le communiqué commun diffusé à l'issue de ses entretiens avec le Premier ministre Brian Cowen est peu encourageant puisqu'il signale simplement que les deux hommes « se sont engagés à agir en étroite concertation afin de trouver le moyen de faire progresser l'Union ». Difficile de trouver formule plus vague.

L 'ELYSEEN allait-il se revancher avec le vote du Parlement réuni en Congrès sur la révision de près de la moitié des articles de la Constitution ? Il l'espérait bien, le Premier ministre et lui-même (de Marrakech où il villégiaturait en compagnie, assurent les initiés, du couple Strauss-Kahn/Sinclair qui possède dans la Ville rouge un somptueux riad) ayant multiplié les interventions et surtout les pressions pour faire basculer les plus réfractaires des élus UMP. Ces derniers menacés, comme l'ont avoué certains d'entre eux, de perdre l'investiture du parti, voire d'être lésés dans le redécoupage de leur circonscription s'ils n'émettaient pas l'avis conforme. Quant aux "flottants" tels les Radicaux de Gauche de Jean-Michel Baylet, ils ont été l'objet d'une cour effrénée, avec promesses de décorations et même de « missions rémunérées » ... sans oublier l'heureux et si opportun dénouement, quelques jours avant le vote, du litige opposant le "parrain" Tapie au Crédit lyonnais. Et tout cela a pourtant bien failli ne pas suffire puisque six députés et un sénateur UMP (honneur à ces résistants !) ont voté contre.
Les groupes UMP et Nouveau Centre réunissent 58,5 % des parlementaires, la majorité des trois-cinquièmes des suffrages exprimés (896) était requise, soit 538 voix. Or, 539 parlementaires seulement ont émis un vote favorable. Sans la trahison du socialiste Jack Lang, prêt à toutes les compromissions pour jouer un rôle officiel, et la manœuvre du président du Congrès Bernard Accoyer qui s'est assis sur la tradition observée depuis 1958 pour glisser son bulletin dans l'urne, la partie était perdue. Un résultat peu glorieux pour le pouvoir après tant de manipulations et de tentatives d'intimidation et qui traduit un profond rejet du premier magistrat de France et de tout ce qu'il incarne, plus encore que de sa réforme.
Comble de cynisme, celle-ci avait été présentée comme devant accroître les pouvoirs du Parlement alors qu'elle accentuera encore davantage la présidentialisation du régime transformé en une "monocratie".
Il est en effet patent que le prétendu référendum d'initiative populaire, soigneusement encadré, ne sera autorisé que s'il est prétexte à plébiscite. Et qu'en s'arrogeant le droit de s'adresser directement au Parlement, mais sans que son discours donne lieu à débat ou à vote, le chef de l'Etat officialise la confusion entre Exécutif et Législatif.
Cet emprunt servile à la Constitution états-unienne aurait été à la rigueur admissible si avaient été également adoptés ses corollaires : la suppression du poste de Premier ministre (mais pas question de se passer bien sûr de ce fusible) et une procédure de destitution du président en cas de forfaiture. Mais là encore Sarkozy s'est bien gardé de toucher au principe chiraquien de totale immunité, ce qui rend impossible tout "impeachment". En revanche il a fait, toujours à l'américaine, réduire à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. Ce qui, escompte-t-il, lui permettra d'être plus facilement reconduit en 2012 : après tout, un quinquennat est vite passé ...
Quant au référendum maintenu - pour toute nouvelle adhésion à l'Union européenne en commençant par celle de la Turquie, ne nous faisons pas trop d'illusions : l'Elysée peut parfaitement choisir la voie parlementaire si les trois-cinquièmes du Parlement lui donnent le feu vert. Au contraire du référendum d'initiative dite par antiphrase populaire, qui doit être appuyé par 4 millions de citoyens et 200 parlementaires, cette autorisation sera une simple formalité quand on sait que la Gauche, tous partis confondus, brûle d'accueillir Ankara dans l'ex-"Club chrétien".
Cette vingt-quatrième révision constitutionnelle - en moins de cinquante ans ! - aurait eu un sens si elle avait abouti à l'introduction d'une dose au moins de proportionnelle et mis fin à « l'inepte système de parrainage pour l'élection du Président de la République ». Mais, comme l'a aussitôt déploré Bruno Gollnisch, faute de ces indispensables modifications, « des millions de Français resteront sans une seule voix pour porter l'écho de leurs souffrances et de leurs espoirs dans ce que l'on ose encore appeler la représentation nationale » et « les traitements discriminatoires tel que celui que subit le Front National » se poursuivront.
Du point de vue de Sarkozy, qui s'estime débarrassé de tout danger sur sa droite, c'est évidemment une réussite. Mais sa non-réforme aura été adoptée de si extrême justesse, dans des conditions si déshonnêtes et si déshonorantes pour un homme porté triomphalement au pouvoir il y a moins de quinze mois, que ce calamiteux 21 juillet pourrait bien être le symbole de sa présidence.
RIVAROL du 25 juillet 2008

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