mercredi 8 octobre 2008

L'armée fusillée par Sarkozy

Chaque fois que les pouvoirs publics évoquent la modernisation ou l'adaptation d'une structure, d'une entreprise ou d'un secteur, on peut craindre le pire. Et en effet, présentant le 17 juin le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale Porte de Versailles à Paris devant quelque 3 000 militaires, gendarmes, policiers et responsables de la sécurité civile au garde-à-vous, Sarkozy s'est voulu rassurant, se disant « garant de la défense des intérêts vitaux et stratégiques de notre pays » et affirmant avoir pour objectif que « notre pays reste une puissance militaire et diplomatique majeure, prête à relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales, et celui que l'Etat assure l'indépendance de la France et la protection de tous les Français ».
SAIGNÉE DANS LES EFFECTIFS
Pourtant ce discours présidentiel est à marquer d'une pierre noire pour l'armée française. En effet, le chef de l'Etat a annoncé une réduction de 54 000 postes civils et militaires de la Défense, soit une baisse de plus de 16 % étalée sur « six ou sept ans ». Les effectifs de l'armée de terre vont diminuer de 17 %, ceux de l'armée de l'air de 25 % et ceux de la marine de 11%. Quant à la gendarmerie, elle sera rattachée au ministère de l'Intérieur dès le 1e janvier 2009.
Cette décrue sans précédent des effectifs - que nous avions prévue dans l'éditorial du 25 janvier titré : « Avec Sarko la Défense à la casse » - se traduira par la dissolution de dizaines de régiments et de bases aériennes tandis qu'une cinquantaine de communes pourront voir disparaître toute présence militaire sur le sol. Certes, la liste définitive ne doit être connue que jeudi prochain, lorsque le ministre de la Défense, l'ectoplasme Hervé Morin, la présentera à ses troupes, mais d'ores et déjà la fermeture des bases aériennes de Cambrai, de Reims et de Colmar semble acquise même si le ministère n'a pas encore tranché entre l'abandon de Dijon ou de Luxeuil.
S'agissant de la marine, la décision de construire un second porte-avions est renvoyée aux calendes grecques, l'Elysée promettant de choisir d'ici à la fin du quinquennat, probablement pas avant 2011.
LA DÉFENSE, LA MAL AIMÉE DE LA Ve RÉPUBLIQUE
Cela fait longtemps que l'armée est le parent pauvre des gouvernements successifs. La Grande Muette est la mal aimée de la Ve République. De Gaulle l'a trahie de manière éhontée en 1958 en lui donnant l'assurance que la France resterait en Algérie tout en négociant secrètement avec le FLN. L'armée française ne s'est jamais vraiment remise de cette trahison initiale, les traditions militaires mettant l'honneur, la loyauté et le respect de la parole donnée au-dessus de toutes les vertus. Les successeurs de l'homme de Colombey ne manifestèrent guère plus d'égards envers les militaires. C'est sous François Mitterrand, Rocard étant à Matignon et Jospin rue de Grenelle, que pour la première fois dans l'histoire de la République le budget de la Défense ne représentait plus le premier poste de dépenses de la nation, l'Education nationale l'ayant détrôné. Ce déséquilibre n'a depuis cessé de croître et d'embellir.
En décidant en 1996 l'abandon de la conscription et la professionnalisation des années, Jacques Chirac avait drastiquement réduit les dépenses militaires tout en promettant à la Grande Muette que les réductions d'effectifs seraient largement compensées par le perfectionnement de leur équipement et la sophistication de leur armement. Mais jamais l'on n'avait démantelé à ce point notre outil de défense.
L'AUXILIAIRE DU NOUVEL ORDRE MONDIAL
Il est vrai que dans la logique mondialiste il ne s'agit plus de protéger la patrie mais de défendre les droits de l'homme selon les critères de l'OTAN et de l'ONU. Sarkozy a d'ailleurs achevé son discours Porte de Versailles en évoquant une France qui « jouera tout son rôle pour la défense de la paix et de ses valeurs », Déjà, dans ses vœux à la nation le 31 décembre dernier, il avait remercié les soldats français défendant dans le monde « nos valeurs ». Il n'est nullement question de la patrie. Il ne s'agit plus de défendre un territoire concret, charnel, ni une souveraineté - bradée à Bruxelles. Il s'agit de transformer nos soldats en bras armé de la nouvelle gouvernance mondiale, de mettre l'armée française au service de valeurs abstraites qui sont le cache-sexe de l'impérialisme américano-sioniste.
LE RETOUR DANS L'OTAN
Car, et c'est sans doute l'essentiel du discours sarkozien, l'alignement sur les Etats-Unis est total : Alors même que la Cour des comptes américaine (GAO) dénonçait le contrat de 35 milliards de dollars signé par le Pentagone avec Airbus-EADS pour la livraison d'avions ravitailleurs - et qu'avait contesté Boeing -, le chef de l'Etat a en effet confirmé sa volonté de réintégrer les structures du commandement intégré de l'OTAN que la France avait quitté sous De Gaulle en 1966. Le Livre blanc appelle en effet à une « relation transatlantique rénovée » et à une « pleine participation » de la France à l'OTAN. L'on voit bien que l'Union européenne n'est qu'un appendice de l'Oncle Sam, son serviteur zélé, la fameuse défense européenne dont on nous tympanise depuis des années n'étant là que pour masquer la totale inféodation à l'OTAN comme l'avait si souvent prédit Jean Deni-pierre dans nos colonnes.
Dans cette logique de soumission à l'Amérique, la France abandonne sans remords ses zones d'influence traditionnelles. En Afrique, la présence militaire sera ainsi allégée, voire supprimée comme en Côte d'Ivoire. Les Américains qui font tout pour nous écarter du continent africain peuvent triompher ! Le document préconise en effet une révision "radicale", pas moins, des accords de défense sur ce continent. Or, il ne faut pas oublier que la constante dans la géopolitique de la Maison-Blanche est de réduire le rôle mondial de notre pays, de détruire ses zones de force et d'influence, de contrecarrer ses intérêts économiques et géostratégiques. C'est ainsi que les Etats-Unis se sont acharnés à ce que nous perdions nos colonies, envoyant même des armes au FLN via la Tunisie en 1957.
La défense revue et corrigée par Sarkozy est appelée désormais à « se concentrer sur un axe géographique prioritaire », de la Méditerranée au nord de l'océan Indien. Ce qui justifie comme par hasard de nouvelles bases permanentes dans le Golfe. Comme si l'on se préparait à une guerre contre l'Iran ! Il est vrai que Sarkozy s'est déjà engagé en Angleterre, puis devant George Bush lors de sa récente visite à Paris, à augmenter fortement la présence militaire de la France aux côtés des Américains en Afghanistan.
Sans surprise la Maison-Blanche a « salué la nouvelle » de ce retour dans l'OTAN. Sarkozy a certes pris soin de préciser dans son discours que « nos forces armées resteront nationales » et que « la France ne placera aucun contingent militaire sous commandement permanent de l'OTAN en temps de paix », mais cela ne trompe personne. Le Front national et les souverainistes ont condamné cette inféodation aux Etats-Unis. Le Parti socialiste également. Son premier secrétaire François Hollande a ainsi jugé sur RTL « extrêmement grave » la décision du chef de l'Etat tandis que l'ex-ministre de la Défense Alain Richard estime, lui, que les conclusions du Livre blanc « sont définies non par une vision stratégique, mais par une logique budgétaire ». Mais de la part de la gauche il s'agit de réactions de tartufes car, comme l'écrivait Libération du 18 mai, « sur le fond du dossier les socialistes sont embarrassés. Ils reconnaissent que si Ségolène Royal avait été élue, ils auraient confié la direction de leur Livre blanc au même Jean-Claude Mallet, le conseiller d'Etat qui l'a dirigé pour le compte de Sarkozy. Confidence d'un socialiste : " Au final, notre document n'aurait pas été très différent. Sauf sur l'OTAN, où l'on aurait fait de l'idéologie et sur quelques aspects de sécurité intérieure." »
Ce qui prouve une nouvelle fois que l'UMP et le PS c'est bonnet rose et rose bonnet !
QUID DE L'IMMIGRATION ?
Par ailleurs, le Livre blanc fixe les « contrats opérationnels » des armées, c'est-à-dire ce que l'Etat attend des militaires en termes de capacités. Pour l'année de terre, il s'agit de pouvoir projeter 30 000 hommes à 7 000 ou 8 000 kilomètres de la France, en cas de coalition internationale (évidemment dans le cadre de l'OTAN). Dans le même temps, elle devrait garder, nous assure-t-on, une capacité de 5 000 hommes pour une autre opération extérieure et de 10 000 sur le théâtre national. Ce qui est bien peu lorsque l'on constate la multiplication des émeutes urbaines, de Villiers-le-Bel à Vitry-le-François, et l'explosion des zones dites de non-droit - plus d'une centaine en France. Hervé Morin a expliqué sur France 2 le 17 juin que la disparition de la menace soviétique justifiait une réduction des effectifs et du budget de la Défense. Mais c'est faire fi du caractère très instable et dangereux du monde actuel et surtout c'est nier la gravité de la situation à l'intérieur même du territoire national. Car les experts savent très bien que les émeutes de l'automne 2005 peuvent se reproduire, en bien pire, à tout moment sur l'ensemble du territoire. Aurait-on alors les moyens d'y faire face ? Sans oublier le fait que nos unités sont désormais très métissées, y compris chez les parachutistes dont plus d'un cinquième des effectifs sont allogènes. Au reste, il y a quelques mois, était paru dans Le Figaro un article très alarmiste évoquant le refus grandissant de soldats mahométans de se soumettre à la discipline militaire, de saluer le drapeau, leur propension à exiger des repas spéciaux et toute une série de dérogations, leur insistance à manifester au grand jour leur exécration de la France et des Français.
Preuve de la volonté sarkozienne de créer une année « de moitié », le Livre blanc qui, précisons-le, n'est pas un rapport d'experts mais l'expression de la volonté du chef de l'Etat - fixe le cadre budgétaire pour les douze prochaines années (2009-2020), à hauteur de 377 milliards d'euros. Un chiffre en très nette baisse si on le rapporte au Produit intérieur brut. « Pensions comprises, nous sommes aujourd'hui à 2,3 % du PIB. Au terme du processus, nous serons à 2 % » explique-t-on à l'Elysée. Comme quoi si l'on se soumet aux Etats-Unis, en revanche on ne les imite pas dans l'importance qu'ils accordent à la Défense, le budget américain des armées dépassant largement 3 % du PIB. En revanche, on adopte leur vocabulaire. Le Livre blanc comprend ainsi un volet « sécurité nationale », concept d'importation américaine qui n'existait pas dans les deux précédents Livres blancs de 1972 et de 1994.
ATTENTION A LA COLÈRE DES LÉGIONS ?
Même si elle est tenue à un devoir de réserve, l'armée s'inquiète beaucoup des desseins du chef de l'Etat. Fait exceptionnel, un groupe d'officiers généraux et supérieurs des trois armées terre, air, mer, tenu à l'anonymat, critique fortement dans Le Figaro du 19 juin le Livre blanc en pointant notamment quatre incohérences majeures. La première, c'est que « l'Europe en général et la France en particulier diminuent leur effort de défense au moment même où chacun les augmente (les dépenses militaires mondiales ont progressé de 45 % en dix ans) », La seconde, c'est de ne pas tenir compte de « l'évolution de la conflictualité, le paradigme de la "guerre industrielle" (entre arsenaux étatiques) ayant été remplacé par celui de la "guerre bâtarde ", le plus souvent "au sein des populations", ce qui exige à la fois des forces terrestres plus nombreuses, une capacité de projection aérienne et navale plus affirmée, une réorientation des programmes en conséquence ». Troisième incohérence : « Nous revenons dans l'OTAN, avec une capacité militaire affaiblie, et tout en y revendiquant des postes de commandement. Nous prétendons faire de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) un dossier majeur du renforcement de la défense européenne sous présidence française, et nous baissons la garde au moment où nous souhaitons entraîner nos partenaires vers un renforcement de la défense européenne. Mais surtout, nous abandonnons aux Britanniques le leadership militaire européen, alors que nous connaissons la nature particulière de leurs relations avec les Etats-Unis. La France jouera désormais dans la division de l'Italie. Il est inutile de se payer de mots. » Quatrième incohérence : alors que nous avons « la certitude de nous engager vingt fois en Afrique dans les années qui viennent, pour y éviter des catastrophes humanitaires ou assurer l'évacuation de nos ressortissants ( ... ), nous affaiblissons de manière définitive notre positionnement, avec ce paradoxe que nos abandons vont conduire mécaniquement à un accroissement du nombre de crises que nous ne pourrons plus prévenir et dans lesquelles nous ne pourrons intervenir qu'à un coût incomparablement plus élevé. »
Difficile d'être plus sévère. Mais Sarkozy, qui se moque éperdument de la France, ne s'inquiète nullement de l'avenir de son armée. Dans le schéma mondialiste, les fonctions régaliennes de l'Etat (la police, l'armée, la justice) deviennent caduques ou à tout le moins subsidiaires.
A quoi en effet sert une armée s'il n'y a plus de patrie à défendre, de sol à protéger, de frontières à contrôler, si l'on ne sait plus ce qu'est la France et si l'Europe que l'on prétend construire n'est en réalité que le laboratoire et l'antichambre d'une gouvernance planétaire dirigée par Israël, ses alliés et ses zélotes ?
Jérôme BOURBON, Rivarol du 27 juin 2008

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